Le choix de la Librairie #34

Chaque mois, retrouvez le choix de la librairie, par Irène Attinger : une sélection d’ouvrages parmi les nouveautés en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.

Anne-Marie Filaire
Zone de sécurité temporaire

Textes de Géraldine Bloch, Jean-Christophe Bailly et Anne-Marie Filaire
Textuel, Paris, 2017

Anne-Marie Filaire s’intéresse à la question de la construction d’espaces intimes dans différents contextes, de son Auvergne natale aux poudrières du Moyen-Orient – Égypte, Palestine et Émirats arabes unis – d’Asie du Sud-Est, d’Afrique de l’Est et d’Europe. Elle aborde, dans une démarche à la fois rigoureuse et poétique qui s’étend sur plus de 25 ans, les paysages, les villes marquées par la guerre, les frontières incertaines. Ce sont les stratégies d’existence, souvent peu visibles, des individus qu’elle veut montrer.
« Dans ma photographie le paysage n’est pas une continuité mais une accumulation. Une accumulation de temps, de moments. » Explique-t-elle.

Dans ses propres textes, Anne-Marie Filaire décrit de manière plutôt factuelle ses séjours en Israël et en Palestine entre 1999 et 2007 ainsi que son passage, en 2006, dans la banlieue sud de Beyrouth et au Sud-Liban. Sous le titre Une journée sans image, Sanaa (Yémen) le 20 juillet 2005, elle nous livre ses impressions sur le pays et la ville, des informations sur ses séjours au Vietnam, mais surtout des éléments de sa vie personnelle et de ses sentiments.

Dans son texte, Géraldine Bloch écrit : « Le travail documentaire, et de mémoire, qu’elle réalise plus spécifiquement dans le monde arabe constitue aujourd’hui un ensemble précieux, une cartographie savante et sensible de ces quinze dernières années. »
« Or, pour Jean-Christophe Bailly, le travail d’Anne-Marie Filaire se déporte hors de cette aire d’attention et de sa possibilité épique [celles du photojournalisme et du reportage] pour aller rencontrer l’époque et l’histoire là où la signification historique, au lieu d’agir dans l’éclat visible de l’événement, fonctionne plutôt comme une déposition, une sédimentation. »

 

Nouveau démenti de la mission spatiale viking 4
Peter Mitchell

Texte de Val Williams, légendes de Peter Mitchell
Édition bilingue français-anglais
Clémentine de La Féronnière, Paris, 2017

Respectivement le 20 août puis le 9 septembre 1975, la NASA lance les sondes Viking 1 et Viking 2 en direction de Mars. Un peu moins d’un an plus tard elles se mettront en orbite autour de cette planète. À la fin de l’été, les atterrisseurs lancés par chacune des sondes sont les premiers engins à se poser sur Mars. S’inspirant de théories conspirationnistes en vogue à l’époque, Peter Mitchell a conçu un scénario mettant en relation une nouvelle mission spatiale sur Mars (les atterrisseurs Viking 3 et 4) et une mission martienne envoyée à Leeds (au centre de l’Angleterre), peut-être en réaction aux sondes envoyées par les terriens. Il photographie depuis la rue, avec l’humour et l’empathie qui lui sont propres, les habitants d’une ville presque en ruine et les lieux auxquels ils sont attachés. Les images, présentées entourées de grilles de coordonnées de la NASA qui restent un peu mystérieuses pour les non-initiés, montrent un endroit insolite avec son industrie à la dérive et sa population sans grande ambition ni désirs.
Il ne faut pas en déduire que Peter Mitchell travaille dans la veine du documentaire « vu par le regard de l’étranger » : pour Val Williams, « En contestant la notion de photographie documentaire et l’idée que le photographe est forcément un visiteur, une personne venue de l’extérieur, un voyageur, un observateur, Peter Mitchell argumente en faveur de l’intégration du photographe, de l’importance de sa place dans la communauté qu’il photographie et de la valeur de l’information venue de l’intérieur. Mitchell se sent chez lui lorsqu’il est au milieu de ruines abandonnées, de civilisations en plein effondrement. »

 

casa das sete senhoras
the house of the seven women
Tito Mouraz

Textes de Nuno Crespo et Tito Mouraz
Dewi Lewis, Stockport (GB), 2016

Les photographies de ce livre ont été prises à Beira-Alta (Portugal), le village natal du photographe, entre 2010 et 2015.
« Par ici, on répète que cette maison est hantée. Sept sœurs ont vécu dans cette maison, toutes célibataires. Une d’entre elles était une sorcière. Les nuits de pleine lune, les femmes volaient, dans leurs vêtements blancs, du balcon aux branches feuillues du châtaigner sis de l’autre côté de la rue. De là elles séduisaient les hommes qui passaient. »
Tito Mouraz développe son imaginaire en écoutant les gens qui ont toujours vécu là et, pour lui, c’est aussi important que l’acte photographique. Revenant systématiquement au même endroit les images scrutent sa transformation graduelle comme la disparition lente des pratiques agricoles et le vieillissement de la population. Malgré tout, il retrouve la légende, entend les mêmes histoires, les mêmes hululements de hiboux, les mêmes glapissements de renards, et est éprouvé par la magie du lieu.
Pour Nuno Crespo, « L’élément essentiel de ce point de vue est que chaque image résulte d’une expérience avec la géographie, les maisons, les gens et, bien sûr, d’une confrontation avec tous les mystères et la magie qui établissent la densité et l’intensité d’un lieu. Tito Mouraz trouve ainsi une méthodologie qui n’est qu’une façon de penser le lieu où il a passé son enfance. Par conséquent son travail n’exprime pas l’étrangeté mais il dévoile plutôt le visage de l’intimité et de la présence du photographe en un lieu dont il a voulu transfigurer l’image. »

 

El Bahr
Marco Barbon

Textes de Marco Barbon et de Denis de Casabianca
Filigranes Editions, Trézélan (F), 2016

Le mot arabe el bahr désigne la mer, mais aussi la plage. À Casablanca, Tanger, Rabat, Essaouira et dans d’autres villes marocaines, Marco Barbon photographie un ou deux individus, hommes ou femmes, de dos face à la mer. Si on ne voit pas leurs yeux, on devine les regards errants, jusqu’à l’horizon, sur l’étendue marine. Si la mer est bien là, le rivage est bien peu accueillant. Les murs, les barrières de ciment, les grossiers entassements de pierre n’invitent ni à la baignade ni au bronzage, ni même à la promenade sur le rivage. Le cadre n’est pas propice à s’embarquer autrement qu’en pensées. Ceux qui sont venus contempler la mer sont là pour méditer, retirés dans leur intimité. Ils rêvent à leur propre départ ou se souviennent avec nostalgie de leurs amours, leurs amis, de leurs proches partis au-delà des mers.

« La mer représente pour ces personnes un espace disponible où noyer les soucis d’un quotidien difficile, où chasser leurs fantômes, retrouver leurs souvenirs, laisser libre cours à leur imagination : el bahr est un territoire de l’âme. Mais elle est aussi le symbole d’un ailleurs rêvé et toujours présent à leur esprit : surface infranchissable, barrière cruelle qui les sépare de leurs chers, partis tenter la fortune ailleurs (c’est pourquoi, dans ces silhouettes énigmatiques et souvent solitaires, on ressent parfois une espèce d’attente, comme un espoir). » Marco Barbon