La famille se retrouve souvent au centre de l’œuvre de beaucoup d’artistes américains, tout comme la photographie est au cœur de leur vie. La tradition photographique américaine est ainsi riche d’un grand nombre de muses qui ont inspiré leur compagnon (Georgia O’Keefe et Alfred Stiegiltz, Charis Wilson et Edward Weston, Eleanor et Harry Callahan, Maria et Lee Friedlander, Bebe et Nicholas Nixon, Edith et Emmet Gowin). Les séries présentées ici, toutes issues de la collection de la MEP, ne relèvent pas de photos de famille au sens commun du terme, c’est-à-dire de récits imagés de la vie familiale. Il s’agit de projets esthétiques qui font partie intégrante de l’œuvre des photographes, que ce soit sous forme d’“autofictions imagées” où l’artiste travaille sur lui-même et sur les liens complexes, parfois douloureux, qui l’unissent aux siens, ou bien sous forme de séries de portraits où le rapport singulier du photographe à son modèle est transcendé par le lien de parenté et la connaissance intime de l’autre.

L'exposition

Image
Elliott Erwitt, New York City, 1953
Tirage gélatino-argentique , 40,6 x 50,6 cm
Collection MEP, Paris. Don de l’auteur en 2010. © Elliott Erwitt / Magnum Photos

Harry Callahan a ainsi photographié son épouse Eleanor pendant 50 ans, parfois avec leur fille Barbara. D’éducation méthodiste mais convaincue par le regard pudique et distancié de son mari, Eleanor s’est prêtée, tout au long de ces années, au jeu du photographe, dans l’intimité ou dans l’espace public, nue ou habillée, devenant le symbole et le repère central d’une œuvre magistrale.

Callahan fut, sur la recommandation expresse de Robert Frank, le professeur d’Emmet Gowin à la célèbre Rhode Island School of Design, et devint son mentor. Ami de Ralph Eugene Meatyard (il posera pour la série “Lucybelle Crater”), Emmet Gowin trouve sa première source d’inspiration dès 1964 en son épouse Edith, puis dans sa rencontre avec le clan Morris, sa belle-famille, qu’il photographie chez eux, à Danville, en Virginie, jusqu’au début des années 1970. Gowin photographie Edith, enceinte, puis avec ses deux fils Elijah et Issac, dans l’intimité du foyer ou dans la nature. L’artiste renouvelle totalement le regard porté sur la famille et la vie domestique en lui donnant une dimension onirique et surnaturelle. Il ne cessera de représenter Edith à tous les âges, “le fil conducteur et l’expérience rédemptrice de ma vie“, selon ses mots.
Ralph Eugene Meatyard, lui, élabore, avec ses fils Michael et Christopher, des saynètes improbables dans des lieux abandonnés et délabrés, où, tels des fantômes errants, ils nous révèlent une autre face de l’enfance, inquiète, tragique et crépusculaire, bien loin de l’imagerie familiale habituelle, mais d’où le jeu et une certaine innocence ne sont pas absents. En 1970, se sachant atteint d’un cancer en phase terminale, Meatyard met en scène sa femme Madelyn, dans la série “The Family Album of Lucybelle Crater”. Elle y porte un masque de Halloween  et joue le rôle d’une sorcière appelée Lucybelle, entourée d’amis affublés de masques de vieillards. Vibrant hommage à celle qui fut le pilier de l’équilibre familial.

Robert Frank clôt son livre Les Américains, paru en 1958, par une photo de sa femme Mary et de ses deux enfants, Pablo et Andréas, blottis dans une voiture sur le bas-côté d’une route au Texas. L’image semble faite au petit matin, et marque la fin d’un long voyage de deux ans sur le continent américain. Quarante ans plus tard, Frank réalise deux photomontages poignants en hommage à ses deux enfants tragiquement disparus. Il intervient sur le négatif, écrit dans l’image, jouant de métaphores qui lui sont propres et qui laissent simplement transparaître sa solitude et son profond désarroi.

Nicholas Nixon est fasciné par le lien qui unit sa femme Bebe et ses trois sœurs cadettes, Heather, Mimi et Laurie. Chaque été depuis 1975, il les photographie côte à côte, toujours dans le même ordre, selon un protocole immuable. De portraits intimes réalisés dans la sphère privée, il tire l’une des œuvres les plus remarquables de l’histoire de la photographie, qui chaque année prend une dimension nouvelle. La série est toujours en cours.

Dans une autre séquence réalisée au début des années 1980, Nicholas Nixon photographie à la chambre grand format et en plan rapproché ses deux enfants en bas âge, Sam et Valentine, avec leur mère Bebe. Effleurant, scrutant les corps enlacés, il explore une autre dimension de la parentalité.
La série de Richard Avedon fit scandale lorsqu’elle fut exposée pour la première fois au MoMA de New York en 1974. Elle est composée de sept portraits de son père octogénaire où on lit la progression du cancer qui devait l’emporter. Fidèle à son protocole habituel, fond neutre et frontalité du modèle, Avedon qui faisait du portrait une confrontation entre le photographe et son  modèle, se livre comme jamais dans cette séquence bouleversante.

Par la force du lien intime qui les unit à leurs proches, grâce à un total abandon de leurs modèles, ces auteurs ont souvent pu aborder avec pudeur, mais sans détour, des aspects essentiels et universels du tragique de la vie, et réaliser ainsi, les séries les plus importantes de leur œuvre photographique.

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Commissariat
Pascal Hoël, en collaboration avec Frédérique Dolivet.

Exposition dans le cadre d’une Saison américaine en partenariat média avec
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Mécénat de compétence
Traduction des textes d’exposition réalisée grâce au mécénat de compétence de l’agence THOMAS-HERMÈS

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Image en une :
Elliott Erwitt
Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris. Don de l’auteur.
© Elliott Erwitt / Magnum Photos