Caio Reisewitz

Caio Reisewitz
Disorder

Depuis plus de vingt ans, le photographe brésilien Caio Reisewitz s’attache à questionner les rapports qui lient l’homme à son environnement. À travers une pratique photographique qui allie la rigueur architecturale moderniste et la puissance désordonnée de la nature, il propose une vision éminemment contemporaine des mutations qui touchent son pays. Pour sa première exposition à la Maison Européenne de la Photographie, Caio Reisewitz invite le visiteur à un voyage esthétique et engagé. Il présente une série d’œuvres caractéristiques de son travail sur la monumentalité, autant architecturale que naturelle, ainsi que des travaux plus récents de collage qui renvoient à la modification par l’homme de son environnement.

Galeries

La MEP

« Dans “l’anthropocène” – nom que l’on donne parfois à notre ère – une époque où le climat et la nature sont affectés de façon significative par l’activité humaine, de vastes étendues naturelles telles que l’on en trouve au Brésil sont parmi les plus lourdement touchées. Le grand photographe brésilien Caio Reisewitz s’appuie sur un langage inédit et une photographie de type monumental pour évoquer à la fois la structure du paysage et la construction – ou plutôt la déconstruction – de son pays aujourd’hui. Une grande partie de son œuvre
constitue une réflexion portant sur des conflits sous-jacents, par exemple la controverse qui entoure la construction du barrage Belo Monte sur le fleuve Xingu dans l’État de Pará, qui sera l’un des plus grands barrages au monde en termes de production d’électricité mais qui menace de submerger des zones forestières entières. Reisewitz réalise ses clichés in situ avec un appareil grand format et un trépied: son œuvre est donc incontestablement enracinée dans son pays. Mais la question qui se pose, c’est celle de l’importance de tout cela pour le langage qu’a élaboré Reisewitz en tant qu’artiste d’aujourd’hui. C’est que le regard que porte Caio Reisewitz sur son pays est un regard extérieur: il n’a que vingt ans lorsque, dans les années 1980, il quitte le Brésil pour s’installer en Allemagne, pays de ses racines familiales; il ne reviendra au Brésil qu’à l’âge de
29 ans. Pendant cet interlude formateur, il étudie la photographie
à l’Académie des Beaux-Arts de Mayence et parcourt le monde en tant qu’assistant d’un photographe de mode – une expérience qui infléchit également son parcours de photographe. Pendant ce temps, après
la chute du régime militaire en 1985, son pays natal subit des transformations positives. De retour au Brésil, Caio Reisewitz voit son pays sous un autre jour. “J’ai l’impression d’être quelqu’un qui n’est pas d’ici,” affirme-t-il, “mais je suis bien d’ici, et cette réalité influence mon regard sur le pays.”

Deux choses frappent d’emblée dans le langage photographique de Caio Reisewitz: d’une part, sa fascination pour les lignes de l’architecture moderniste; d’autre part, de façon ostensiblement antithétique, sa passion pour les aspects organiques des extraordinaires richesses écologiques du Brésil. Son œuvre
entremêle ces deux éléments paradoxaux, se faisant le reflet d’un aspect amorphe de la réalité brésilienne – comme par exemple ces
zones où les bâtiments de telle métropole cèdent la place à la forêt tropicale en passant par les favelas. De tels bidonvilles pullulent autour de São Paolo, où habite Reisewitz. Lorsque les gens pauvres du nord du Brésil viennent à la grande ville à la recherche d’un travail, ils commencent par se construire une maison dans une favela. Ces bidonvilles sont des baromètres de conflits sociaux et écologiques, mais pour Reisewitz ils dénotent également la beauté moderniste
que l’artiste discerne dans leurs structures. Dans ses photos, les structures de ces habitations de fortune font écho à celles des édifices modernes. Il en résulte une espèce de mimétisme : les maisons se fondent les unes dans les autres, une partie de bidonville se trouve subitement transplantée dans une forêt tropicale verdoyante
ou au contraire parsemée d’architectures caractéristiques des centres urbains. Reisewitz crée également des images documentaires de lieux qui ont l’air de relever de la fiction mais qui existent bel et bien, comme ce terrain de golf aux confins de Brasilia qui ressemble à un décor – voire au contraire, des paysages qui ressemblent à des milieux naturels sauvages mais qui sont en réalité savamment construits,
tels que les jardins botaniques de Belim, créés de toutes pièces par l’homme il y a deux siècles.

Ces effets de mise à distance, Caio Reisewitz parvient à les créer
non seulement dans ses photos monumentales et plus directement documentaires, mais également dans les collages qu’il commence à réaliser dès 2010 après avoir été invité à installer des œuvres dans un petit espace du Musée d’Art moderne de São Paolo. Il entend y montrer de petits formats chargés d’informations: des images qu’il faut longuement scruter. Ceci lui donne l’idée de découper des segments de ses tirages pour les coller sur d’autres photos ; il photographie le résultat et enfin réalise un tirage de format réduit. Les collages que Reisewitz réalise de cette façon sont importants
pour lui non seulement parce qu’ils constituent une réponse analogique inédite à la question du numérique, mais également parce que le travail d’atelier inscrit sa pratique photographique dans la tradition séculaire de la peinture.

Car Caio Reisewitz considère que son travail s’inscrit moins dans
la tradition photographique brésilienne que dans le contexte de
l’art moderne, par exemple l’œuvre de Tarsila do Amaral. De nombreux artistes brésiliens jouent un rôle à cet égard, notamment ceux qui vivent sous le régime militaire au pouvoir au Brésil entre 1964 et 1985. Pendant cette dictature, le gouvernement s’oppose à l’expression artistique, mais des artistes comme Cildo Mereiles produisent néanmoins des œuvres sophistiquées d’avant-garde. L’art de ce dernier critique le régime et le manque de liberté de parole qui prévaut alors, mais à première vue cette critique est invisible au spectateur non averti. Le vrai sens n’apparaît qu’en deuxième lecture, à ceux qui possèdent un certain discernement, à travers des métaphores picturales qui confèrent une valeur inédite aux œuvres.

Il semble y avoir un lien entre le côté ‘faux-semblant’ de l’art moderne brésilien et l’engagement social qui sous-tend les photos de Caio Reisewitz. Si aucun régime militaire ne fait directement obstacle à sa pratique, cette menace est remplacée par une autre: celle des dilemmes socio-économiques et écologiques qui sévissent dans son pays et qui constituent un danger non moins totalitaire. Le commentaire
de Reisewitz par rapport à ces dilemmes est en partie direct : il prend la forme de photographies documentaires monumentales dans la tradition de l’École de Düsseldorf, à l’instar de photographes tels que Andreas Gursky, Candida Höfer et Thomas Struth, avec qui il a collaboré pour la Biennale de São Paolo. D’autre part, son message est porté par des constructions visuelles complexes, des collages qui ne nous livrent leur vérité qu’en deuxième approche, dans la tradition des artistes brésiliens avec qui il ressent la plus grande affinité. À cet égard, l’œuvre de Caio Reisewitz est aussi internationale de par sa monumentalité idiomatique qu’elle est éminemment brésilienne de par son avant-gardisme. »

Nanda van den Berg
Directrice, Huis Marseille Museum voor Fotografie

 

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Exposition réalisée en collaboration
avec le Huis Marseille Museum voor Fotografie d’Amsterdam.
Caio Reisewitz est représenté par :
Bendana Pinel Art Contemporain, Paris
Galerie Van der Mieden, Anvers
Luciana Brito Galeria, São Paulo

 

Édition
Un livre, publié par le HMMF d’Amsterdam et la MEP, accompagne l’exposition.

Mécénat de compétence
Traduction des textes d’exposition réalisée grâce au mécénat de compétence de l’agence THOMAS-HERMÈS

Logo Thomas-Hermes

 

Image en une : © Caio Reisewitz. courtesy Bendana Pinel Art Contemporain