Anne et Patrick Poirier

Anne et Patrick Poirier
Vagabondages argentiques
50 ans de bricolage photographique

Anne et Patrick Poirier développent une œuvre polymorphe dans laquelle la photographie occupe, dès leurs débuts en 1967, une place aussi centrale que méconnue, au même titre que la sculpture ou l’installation. Au fil des ans et de leurs expérimentations, ils n’ont cessé de développer un corpus d’œuvres, explorant sans a priori et sans limite les possibilités du médium photographique. Cette exposition, qui réunit près de 200 tirages, en propose la première rétrospective.

Galeries

La MEP

Une photographie de Nantes en ruines après le bombardement du 16 septembre 1943 qui emporta le père de Patrick, revient en leitmotiv dans les ouvrages qui leur sont consacrés. Elle révèle que l’œuvre d’Anne — née à Marseille en 1941 — et de Patrick — né à Nantes en 1942 —, s’ancre dans la tragédie de la Seconde Guerre mondiale et donne une clé de lecture essentielle à la compréhension de leur travail, leur conscience aigüe et intime de la fragilité de toute chose.

Adolescent, Patrick s’essaye à la photographie avec le Kodak 6 x 4 de sa mère avant d’acheter, en 1963, son premier Reflex alors que tous les deux sont étudiants à l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris. Dès leurs premiers voyages, pérégrinations aux allures d’errances, fascinés par Victor Segalen et les images de ses installations improbables pour photographier la statuaire chinoise, ils explorent la photographie, qu’ils ne cesseront d’utiliser comme médium à part entière.

À l’instar de leurs maquettes de sites archéologiques, carnets ou herbiers, les photographies d’Anne et Patrick Poirier soulignent la fragilité de la mémoire et la nécessité d’en témoigner. À la fin des années 1960, durant leur séjour à la Villa Médicis, ils expérimentent, produisant des photogrammes de crânes, de fleurs ou de verres brisés qui évoquent des vanités. Pendant leur long séjour romain, ils créent également, souvent avec des appareils chinés, des séries telles qu’Ostia antica (1970), reportage fictionnel sur une campagne de fouille dans la nécropole de la ville, ou Paysages révolus, Selinunte (1973-74), regard humoristique sur les dérives du tourisme de masse. En parallèle, avec la conception de leurs grandes maquettes Domus aurea et la série photographique éponyme, ils créent leurs premières compositions monumentales, Les jardins noirs (1976-77), auxquelles le contraste entre le vert gorgé de vie des végétaux et le noir du fond en charbon de bois confère  une dimension dramatique.

Dans la série Stigmates (1977-78), réalisée à Berlin, leurs photographies de bâtiments en ruine, d’impacts de balles sur les murs, fixent les traces d’une tragédie dont on est en train d’effacer la mémoire à coups de bulldozer. Les carnets de fouilles de l’archéologue des années 1990, mêlent photographies, notes, croquis et empreintes, relevés de fouilles fictives.

Leur approche onirique du patrimoine à l’œuvre dans Roma Memoria Mundi (1988), prend un caractère tragiquement prémonitoire dans Palmyre (1992) ou Villes Mortes, Syrie (1992), images de vestiges architecturaux rehaussés à l’aniline qui leur donnent un aspect surnaturel.

Leur travail photographique prend un nouveau tournant à l’occasion de leur résidence au Getty Research Institute à Los Angeles en 1994-1995. À partir de clichés faits avec leur nouvelle chambre photographique
20 x 25, ils exploitent toutes les ressources des dernières techniques mises à leur disposition.

Reprenant leur invention de tatouage de pétales de rose de 1978 (Villa Adriana), ils développent sous le nom de Fragility plusieurs séries métaphoriques utilisant pétales et feuilles « torturées » avec épine, aiguille, crayon… Ces fleurs scarifiées fraîches ou fanées surgissent encore dans les séries Siècle Infernal (1996), Incisions (1996), L’âme de Gradiva (1997) – dont le titre s’inspire du roman de Wilhelm Jensen qui a pour personnage central un archéologue hanté par l’évanescente image d’une femme. Dans Natures mortes (1996), ils composent de somptueuses vanités, dominées par un rouge théâtral et charnel, couleur du sang et de la douleur.

Depuis quelques années, avec la complicité de Choi, le célèbre tireur, ils continuent d’inventer. Dans la série Archives, ils créent des photogrammes en plaçant les fleurs directement entre deux plaques de verre, créant ainsi de majestueuses compositions de végétaux tatoués et superposés auxquels sont parfois mêlés d’autres photographies et des textes.

L’appropriation photographique s’inscrit dans leur démarche dès leurs premiers travaux, comme en témoigne Les valises (1968-69), avec l’utilisation de photographies trouvées ou de dépliants touristiques. Elle se poursuit aujourd’hui avec la série Tapis, réalisée à partir d’images du centre historique d’Alep ou de Hatra (2016) sélectionnées sur Google Earth. Confectionnés avec des matériaux fragiles (soie, laine, fibre de bambou), selon un savoir-faire tibétain ancestral, ils évoquent le martyre de ces villes désormais dévastées.

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Commissaires d’exposition
Laure Martin, Jean-Luc Monterosso et Laurie Hurwitz

 

Édition
Un livre monographique, publié aux Éditions Flammarion, avec le soutien de la Maison Européenne de la Photographie, de la galerie Mitterrand et de la galerie Fumagalli, accompagne l’exposition.

 

En partenariat média avec

 

Image en une : Série Roma Memoria Mundi, 1988, Courtesy Galerie Mitterrand, Paris
© Anne et Patrick Poirier.
Photo Jean-Christophe Lett. Adagp, Paris, 2017