Le choix de la librairie # 8

Une sélection, par Irène Attinger, d’ouvrages en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale et/ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.

Une sélection, par Irène Attinger, d’ouvrages en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale et/ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.

PARTY. QUITONASTO FORM CHANMAIR MAO TUNGEST, CRISTINA DE MIDDEL

Archive of Modern Conflict / RM Verlag, Londres / Barcelone, 2013

Party (Le Parti) a été conçu par Cristina De Middel, après un premier voyage en Chine en 2012. Son but : capter, avec son appareil photo, ce qui retient son attention, sans aucune tentative d’explication ou d’analyse. Elle est revenue avec une grande série des photographies difficiles à classifier et éditer puisque leur seul dénominateur commun était son propre étonnement. Party est un livre de photo construit sur la base du Petit Livre rouge de Mao Zedong, un livre qui fut “la Bible” des Chinois.

Cristina De Middel utilise la forme et le texte en grande partie caviardé de ce livre pour faire émerger de “nouvelles” citations qui, avec les photographies recto-verso glissées entre les pages, créent un récit particulier.

Comme le Petit Livre rouge, la matérialité du livre (couverture plastique un peu granuleuse, papier très fin) fait penser à un missel ou, pour les Parisiens, à un plan de métro.

Ainsi que Cristina De Middel elle-même l’a déclaré : « J’ai décidé d’adapter cette déclaration politique historique aux temps modernes en censurant et cachant les parties du texte qui ne sont plus pertinentes et en mettant en évidence quelques autres phrases recomposées qui, pour moi, forment un portrait plus précis de la République Populaire de Chine au vingtième et unième siècle. »

Denis Dailleuxbd

EGYPTE LES MARTYRS DE LA REVOLUTION, DENIS DAILLEUX

Textes d’Abdellah Taïa et de Mahmoud Farag
Le bec en l’air Editions, Marseille, 2014

Au travers d’une série en triptyque : l’extérieur vu de la fenêtre de l’appartement, le(s) parent(s) et les souvenirs de 20 martyrs, Denis Dailleux rend hommage aux victimes de la révolution égyptienne et aide à comprendre les bouleversements actuels. Mahmoud Farag et Abdellah Taïa retracent la vie des défunts et la nature de leur engagement à partir des témoignages de leurs proches. Le rituel de la prise de vue est toujours le même : Mahmoud Farag s’entretient avec les familles, pleure car leurs histoires lui brisent le cœur, partage un thé, et s’absente. « J’intervenais aussitôt après, explique Dailleux, la tension était presque insupportable, je recueillais l’émotion. Moi, j’étais directif, je disais aux parents : “Voilà, asseyez-vous là, et c’est tout.” Rien d’autre. Que pouvais-je dire après Mahmoud ? » [Denis Dailleux, cité par Brigitte Ollier sur le site du quotidien Libération, 24 janvier 2014]

«  Je crois en cela. Je veux croire que la vie des Arabes et leur rapport à eux-mêmes ont été modifiés. Ils ont la parole. Ils ont les rues. Ils ont les moyens d’exprimer et de revendiquer leurs droits. Leurs rêves. Leur désir de justice et de dignité. Leur volonté de devenir des citoyens libres, des individus protégés par les lois. Loin de la soumission. Dans le mouvement. Le débat. Autour de la liberté. La sienne. Celle des autres.

 Le monde arabe est en ce moment un grand laboratoire pour toutes ces idées. »  (Abdellah Taïa)

IMGP1622

LA TRAVERSÉE, MATHIEU PERNOT

Texte de Georges Didi-Huberman
Jeu de Paume / Le Point du Jour, Paris / Cherbourg-Octeville, 2014

La Traversée aborde trois sujets : la communauté tsigane (et plus largement les migrants), l’enfermement carcéral et l’habitat populaire moderne au travers de multiples séries réalisées entre 1995 et 2013. Parmi celles-ci, trois forment un squelette structurant le livre, au travers de cours de prisons désaffectées, d’appartements promis à la destruction et de campements clandestins désertés (dans ces lieux de relégation envahis par la végétation, une forme ambiguë de vie perdure). L’idée de traversée, de déplacement et de passage, très présente dans l’œuvre de Mathieu Pernot permet d’appréhender la situation de groupes marginalisés par des formes qui détournent  portraits d’identité ou reportages d’actualité en jouant du documentaire et de la mise en scène.

La présence d’individus nomades et fragiles au sein de corpus d’images différents en fait des personnages traversés par ces histoires au fil du temps. Dans son texte Sortir du gris, Georges Didi-Huberman, évoquant Baudelaire, décrit en ces termes l’enjeu d’une telle traversée : « Un siècle et demi plus tard, le photographe de la vie moderne ne doit-il pas, lui aussi, extraire, fût-ce en noir et blanc, toute cette beauté, toute cette mémoire involontaire, toute cette énergie vivante qui a décidé – là est la nouveauté, mais elle date de Goya – de ne pas se plier à l’ordre de l’intolérable ? »

juergen Tellerbd

I AM FIFTY, JUERGEN TELLER

Texte Fabrice Paineau
Suzanne Tarasiève, Paris, 2014

Juergen Teller est l’un de ces rares artistes qui a su faire exister et reconnaître son travail dans le milieu de l’art et dans celui de la mode. I am Fifty présente trois ensembles de photographies.

La série Masculine, qui ouvre le livre a été produite suite à la visite de l’exposition Masculin/Masculin (musée d’Orsay, 2013) dans laquelle était présenté l’un de ses autoportraits. Les images se font écho : un autoportrait de l’artiste réplique à la photographie d’une œuvre de l’exposition d’Orsay. Juergen Teller se met en scène dans sa salle de sport, en short et baskets, en train de pratiquer ses exercices, porter des haltères, transpirant péniblement. Ses poses évoquent celles des nus classiques des peintures et sculptures, rappelant avec humour et autodérision ce que le corps musclé qui correspond à l’idéal masculin implique d’efforts mais aussi de grotesque.

La deuxième partie du livre met face à face, sur les pages droites, la série Irene im Wald (2012) et la série Woo qui désacralise ses photographies d’art ou de mode, sur les pages gauches. Les photographies de Irene im Wald suivent, dans un ordre rigoureux, la promenade de sa mère, dans une forêt d’Erlangen qu’il connaît depuis l’enfance. Évoquant la douceur d’un après-midi en famille, chaque image est le reflet du regard tendre du photographe sur sa mère dans cette forêt d’hiver ensoleillé. Mise vis-à-vis de ces images intimes et personnelles, les photographies d’art et de mode de la série Woo sont toutes mises sur le même plan et assemblées comme un pêle-mêle de photos de famille, ou une rétrospective enchevêtrée du travail de créateur de Juergen Teller. Alors que le livre s’impose comme œuvre, le double dispositif du livre impose de réfléchir à la nature de l’image photographique isolée et séparée de son contexte.