Les films de Teri Wehn-Damisch

L’œuvre cinématographique de Teri Wehn-Damisch sur les beaux-arts est considérable et la MEP compte plusieurs de ses films dans la collection de sa vidéothèque.

Qui pourrait aujourd’hui se vanter d’avoir filmé Gisèle Freund, André Kertész, Françoise Héritier, Julia Kristeva, Umberto Eco, Hubert Damisch ? Ou d’avoir dialogué avec Pierre Boulez, Renzo Piano, Claude Lévi-Strauss, Charlotte Perriand ou Nathalie Sarraute ?
Qui pourrait se targuer d’avoir produit plus d’une centaine de documentaires sur l’art contemporain, à travers des émissions de télévision portant sa griffe et sa voix, sur tant de photographes (Michael Snow, David Goldblatt, Ben Shahn, Étienne-Jules Marey, August Sander, les frères Lumière) ? Mais aussi d’avoir signé des films sur les grandes expositions du Centre Pompidou, ou encore la série « Ping-pong » (Paris-New York, Paris-Berlin, Paris-Moscou et Paris-Paris).

… Quelqu’un qui, bien sûr, n’est pas de celles et ceux qui se vantent.
Et pourtant ! Teri Wehn-Damisch a œuvré et œuvre encore à la transmission, non seulement du savoir, mais aussi de la passion qui l’anime pour l’art.

Le cycle de vidéos « Photographes de guerre », intègre la projection de deux films de Teri Wehn-Damisch qui permettent, chacun à leur façon, de prendre du recul sur les images de guerre.
Avec Gisèle Freund dans Photographie et société (1984), elle revient notamment sur le sort de la presse dans l’Allemagne nazie. Alors que celle-ci s’enfonce dans la nuit et le brouillard, le photojournalisme moderne, pourtant en pleine éclosion, y est aussitôt muselé.
Et avec Les enfants otages de Bergen-Belsen (2014), c’est une plongée, à travers de très nombreux documents photographiques, dans une réalité que l’image seule n’arrive pourtant pas à exprimer totalement : celle de la barbarie.

Mais il y a aussi de nombreux films sur des artistes comme le tout récent Jacqueline Salmon, l’art d’avancer masqué où la complicité transparaît derrière presque chaque plan. L’œuvre de Denis Roche sera également à l’honneur dans le prochain film, en cours de réalisation en 2018.
Et il y a ceux, moins récents mais tout aussi modernes, sur Michael Snow, Étienne-Jules Marey, Alexandre Trauner, ou André Kertész, qui sont conservés à la vidéothèque de la MEP, et peuvent être consultés librement.

Tous ces films d’archives devraient continuer d’être diffusés : leur propos est souvent très actuel. Sans doute l’évolution des standards techniques a-t-elle tenu certains épisodes à l’écart des diffusions télévisuelles. (tournés en 16 mm, leur format est carré, là où les écrans 16/9e d’aujourd’hui sont « larges »).

Teri Wehn-Damisch le dit volontiers : elle a toujours eu conscience de réaliser des films d’archives, destinés à être vus puis revus. Elle se réjouissait déjà, lors de ses débuts, des possibilités d’enregistrement permettant au public de revoir ses émissions (qu’elle savait denses voire exigeantes).
Les programmes consacrés à l’art étaient alors diffusés fort tard et qui plus est en concurrence avec des divertissements sur l’autre chaîne…  Est-il utile de dire que si quelque chose a changé aujourd’hui, c’est uniquement le nombre de divertissements ? Celui-ci comme le nombre de chaînes a explosé.
Quant aux émissions sur l’art, elles sont plus rares et prennent le format imposé ; elles ne doivent parfois pas dépasser la minute, générique compris.

Mais il y a, on le sait, une résistance organisée ; certaines chaînes comme Arte ou France 5 défendent leurs choix. Il y a aussi de nouveaux moyens, comme la vidéo à la demande (UniversCiné, ou cinq26), les chaînes en ligne sur des plateformes et les festivals de documentaires partout en France, comme à Lussas, La Rochelle…

Et pour nombre de programmes d’archives, hors de l’actualité, il y a, nous voulons le croire, les vidéothèques de consultation comme celle de la MEP, qui offrent sur le modèle de conservation d’une bibliothèque (à laquelle elle est d’ailleurs accolée) des ressources insoupçonnées de films introuvables ailleurs…

Mais ces résistances ne seraient que peu de choses, si il n’y avait des réalisateurs et réalisatrices passionnés. D’abord parce que dans notre époque où le « modèle économique se réinvente » (comme on dit pudiquement), nombre d’entre eux se mettent matériellement en danger, mais ne lâchent pas et vont au bout de leur projet.

Mais au-delà de la dimension matérielle, le courage de réalisatrices comme Teri Wehn-Damisch tient aussi en ceci que jamais elles ne se sont fait dicter le concept pernicieux de « ce qui intéresse les gens », par un patron de chaîne, ou par des courants…
« Est-ce que le public est prêt ? Je ne sais pas mais c’est je crois notre rôle de le “rendre prêt !’” »*

Cette volonté et cette capacité à résister pour exiger un droit à la qualité, est une exigence vouée au spectateur, et c’est bien sûr un respect de celui-ci et de son intelligence.

En ceci, Teri Wehn-Damisch et son mari philosophe et amoureux de l’art, Hubert Damisch, ont certainement partagé l’un et l’autre le goût d’être des « passeurs ».
Mais au-delà de leurs trajectoires croisées, Teri Wehn-Damisch a toujours travaillé à la réalisation d’une œuvre imaginative et pleine de finesse. Preuve, s’il en est besoin, que le documentaire est un genre de cinéma d’auteur, et qu’il est frappant de constater que sur toute une « carrière », le style se reconnaît, et le regard souvent amusé de Teri est toujours prêt à transmettre « le gai savoir ».

Emmanuel Bacquet

*Teri Wehn-Damisch, Antenne 2, émission « Face à vous » du 30 janvier 1980

 

Projections dans le cadre du cycle « Photographes de guerre » :

Chaque samedi à 16h30, jusqu’au 29 juillet 2018 :
Gisèle Freund, photographie et société (images de la réalité, réalité de l’image)
Réalisation Teri Wehn-Damisch, 52′, 1984

Les dimanches 17 juin et 8 juillet 2018 à 17h30 :
Les enfants otages de Bergen-Belsen
Réalisation Teri Wehn-Damisch, 52′, 2013