Les photographies prises par Bastien Deschamps à la frontière du
fleuve Evros qui sépare la Turquie et la Grèce nous donnent un
aperçu de ce qui se joue aux frontières, d’un bout à l’autre de l’Europe.
Le fleuve de l’Hèbre, consacré par les mythologies grecques
et orientales, est devenu une scène de crime, où l’orchestration de
la violence d’État ré-organise l’espace, se déployant souvent horschamp,
restituée par les récits de celles et ceux à jamais marqué.e.s
dans leur chair. La réalité de la présence migrante s’en trouve neutralisée,
spectralisée, et il ne faut rien moins qu’un détour par l’abstraction
du concept et l’idéalisation de l’art pour réveiller les fantômes
et démaquiller le réel.
La philosophe Sophie Djigo nous invite à penser avec la frontière,
c’est-à-dire à « penser à gué », en suivant les méandres de l’Evros
et les ambivalences des acteurs qui incarnent la frontière : personnes
exilées, garde-frontières, pêcheurs, passeurs, médecins-légistes…
Traverser le fleuve revient à éprouver les nuances plus fines de la
réalité aux frontières, où se noue toute une série de paradoxes, dont
la philosophie tente de rendre compte en réajustant la pensée au
réel.