Son rapport très intuitif et physique aux lieux immerge le spectateur dans un univers qui emprunte à la fois au monde du cinéma et à celui de la peinture. « Une bonne photo est une photo qui dit beaucoup de choses sur le lieu et le moment où elle a été faite », précise le photographe. L’espace donc – sa complexité, la perception que nous en avons, sa plasticité – est à l’égal de la couleur une composante majeure des images de Gruyaert, comme si la dualité entre couleur et spatialité – sujet majeur des beaux-arts des siècles précédents – se dissolvait pour au final créer une oeuvre où seul importe le plaisir de l’immersion.
Basculer dans l’image, dissoudre les frontières entre espaces extérieur et intérieur, monde clos ou au contraire ouvert sur l’ailleurs : Between Worlds offre une immersion sensorielle. Peu importe les lieux (boutiques, gares, cafés, métros, chambres d’hôtel, malls…), les pays (Europe, Moyen-Orient, Asie, États-Unis, Afrique…), l’époque (des années 1970 à aujourd’hui), le photographe déploie ici l’essence même de son écriture visuelle : une alchimie lumineuse dans un temps suspendu. Où sommes-nous ? Peu importe, seul règne le délice de se perdre. Au fil d’un editing réalisé comme un « carottage » dans ses archives, Harry Gruyaert montre qu’au-delà du merveilleux coloriste qu’il est, ses images, avec leurs jeux de transparences et de mise en abyme, racontent aussi l’illusion du monde.