En 2011, j’ai publié un livre intitulé « American Puzzle « qui s’appuyait sur 17 voyages aux USA réalisés entre 1996 et 2009. J’essayais d’apporter mon regard de Français sur un pays à la fois réel et mythique, sur un territoire extrêmement divers et pourtant homogène. En parallèle de ces multiples voyages américains, de 1985 (premières photos « européennes ») à 2015, j’ai parcouru l’Europe pour diverses commandes, résidences, invitations, rencontres… Trente ans de prises de vue durant lesquels ma vision du monde et mon style photographique ont évolué, voire changé tout en restant dans la même perspective : celle d’être un témoin du « réel » , un acteur passionné de la géographie humaine et de l’histoire politique.
En 1991, je suis à Moscou quand Boris Elstine renverse Michael Gorbatchev. Je sens que l’Europe va basculer dans un nouvel équilibre (ou déséquilibre…). Je crois alors être un photojournaliste en captant ces événements, mais je m’aperçois vite que je suis plus à l’aise dans le temps long, dans le récit subjectif et hésitant que dans la restitution immédiate des faits saillants. Je me sens davantage romancier que journaliste.
Au fil des années, l’Europe devient alors, en filigrane, un sujet récurrent : je m’intéresse à ses circonvolutions politiques, à sa géométrie variable, à ses utopies qui vont bientôt se briser sur les crises économiques et identitaires… Bien vite, je me sens plus européen que français, j’aime traverser les frontières sans douane et conserver la même monnaie, mais j’apprécie aussi les diversités de langage, de pensée et de mode de vies. J’aime cette idée de fédérations autonomes où chacun conserve sa particularité.
Petit à petit au fur et à mesure des voyages et des années, alors que théoriquement l’Europe politique se solidifie, je n’arrive plus à savoir ce qu’est l’Europe : comment se sentir européen si on ne sait pas où commence et où s’arrête l’Europe ? Le parallèle avec les Etats-Unis devient alors évident, tant là-bas les frontières (géographiques, physiques, économiques, culturelles…) sont réelles, évidentes, admises par chacun.
Alors, après m’être confronté à un « Puzzle américain », j’ai ressenti le besoin de me rapprocher de ma propre culture et d’essayer de bâtir un livre sur ce continent européen si indéfinissable. Ce projet ambitieux (voire impossible ?) est encore à l’état de bribes et de points d’interrogation, mais n’est-ce-pas le but de la photographie de donner des visions parcellaires et des morceaux de réalités que chacun doit ensuite réinterpréter ? Entre document et poésie ? 60 ans après la sortie des « Européens » d’Henri Cartier-Bresson, c’est le pari que je souhaite relever…
Jean-Christophe Béchet
Jean-Christophe Béchet
Né en 1964 à Marseille, Jean-Christophe Béchet achète son premier appareil de photo en 1980. Il suit des études d’économie (Aix-en-Provence, 1982-1985), puis de photographie (Arles, 1985-1988) avant de séjourner et de voyager deux ans en Afrique de l’Ouest (1988-1990). Il vit et travaille depuis 1990 à Paris.
Attiré par les grandes métropoles, il photographie Tokyo de 1992 à 2002, les Etats-Unis de 1996 à 2011, en parallèle il voyage en Afrique du Sud, au Népal, en Indonésie, en Amérique du Sud. Son regard sur le monde se construit livre par livre, l’espace de la page imprimée étant son terrain d’expression « naturel ». Il poursuit en ce moment un travail sur « l’identité européenne » et développe en parallèle une série sur la haute montagne. Il fut le créateur et le rédacteur en chef des Hors Séries de Réponses Photo jusqu’en 2014. Ses travaux personnels ont débouché sur plus de cinquante expositions et la publication d’une vingtaine de livres. Il est représenté par la galerie « Les Douches la Galerie » (Paris, 10ème).