Le monde de Sebastião

« Genesis est un hommage à la nature ». Huit années durant, Sebastião Salgado, au travers de voyages parfois extrêmes, explore les terres et les mers les plus reculées de la planète. Il réalise une sorte d’inventaire, une vaste fresque, photographiant les êtres qui y vivent libres, une faune et une flore intactes, à l’écart de nos […]

« Genesis est un hommage à la nature ». Huit années durant, Sebastião Salgado, au travers de voyages parfois extrêmes, explore les terres et les mers les plus reculées de la planète. Il réalise une sorte d’inventaire, une vaste fresque, photographiant les êtres qui y vivent libres, une faune et une flore intactes, à l’écart de nos civilisations proliférantes et destructrices.
Près de deux cents cinquante tirages argentiques témoignent de ce projet.

Un gigantesque édifice flottant se dresse telle une forteresse de glace façonnée par les eaux et les vents, errant, impénétrable, dans la tourmente d’un océan sombre et glacial.
Surgit l’animal mythique : l’ancêtre qui a traversé les âges nous observe de son œil sage. Son souffle énorme résonne comme dans une caverne, alors que son ombre soulève la mer avant d’être engloutie … Puis, de reparaître en une fleur de lotus dans la brume matinale.
Des étendues d’oiseaux masqués se découvrent, comme dessinés et issus d’une mythologie des pôles, des êtres reliques figés dans l’éternité. Le corps contorsionné et luisant d’un jeune éléphant de mer hurle comme un cri ensanglanté.

Un troupeau de bêtes fantastiques ouvre une faille dans l’immensité blanche.
Les paysages les plus étranges défilent, évoquant les encres d’Asie orientale, les gravures sombres de Goya ; des espaces où l’on a plus ni ciel, ni terre, où le sol ondule comme la vague infinie de l’océan, où la roche forme de ses mouvements un ciel mouvant.
Comment comprendre ces montagnes escarpées dressées sur un nuage-volant au dessus d’une vallée lointaine ?
Que sont ces yeux menaçants mis en abîme et démultipliées dans la nuit miroitante comme une ville prête à nous dévorer ?

Ces images ont quelque chose des rêves qui habitent et hantent parfois nos nuits. Mélange de désir et de peurs, elles brouillent notre esprit par leur persistance.
Certains disent avec négligence ou gravité qu’ils ne rêvent plus ; ils se sont coupés de leurs rêves, quelque chose d’eux leur échappe.

Les îles se drapent de voiles éphémères. Les orgues de pierre jouent la plus immatérielle des musiques et les êtres donnent les plus somptueuses des chorégraphies.
Un homme-fougère se déplace tel un caméléon dans les feuillages géants, des arbres-maisons abritent les familles dans le ciel qui découpe la forêt de ces nuages… Les règnes minéral, végétal et animal s’interpénètrent.
Ainsi, hommes, femmes et enfants s’élèvent, enveloppés de leurs taureaux, dans un nuage de terre.
Ici, depuis la nuit des temps l’humanité fait jaillir le feu de ses mains à la lumière de son esprit.

Ni temps, ni chronologie, les images de Sebastião Salgado nous parlent d’un ailleurs.
Elles nous annoncent un avenir incertain, un monde dont il ne resterait que les cendres, le souvenir puissant du feu qui brûle bruyamment et le parfum entêtant des roses dont les pétales jonchent le sol, comme nos rêves …

Sophie Lambert,
Conférencière