Choix de la bibliothèque #05

Une sélection, par la bibliothèque de la MEP, d’ouvrages de son fonds, souvent des acquisitions récentes, participant de la mémoire internationale de l’édition photographique. Almost There, Aleix Plademunt

Difficile d’appréhender Almost There de Aleix Plademunt tant cet ouvrage échappe à l’analyse. En proposer un commentaire seul et linéaire, tel une sentence, reviendrait à éroder son mystère. C’est pourquoi il est nécessaire d’y apposer aussi une description factuelle.

Le livre s’engage par une garde blanche tachetée de points noirs.
Sur la double page suivante figure le nom du photographe à gauche, la photographie d’une météorite à droite.
Plus tard nous comprendrons que la garde était figurative, il s’agissait d’étoiles.
Derrière la météorite, sur le volet intérieur de cette page dépliante, la reproduction d’une carte postale.
Puis vient le corps du travail, des photographies de paysages canadiens enneigés, de rochers, de grottes, de tel crâne préhistorique, d’une constellation, de la chambre d’un motel, de Julia, des cellules du photographe ou d’une rangée de semi-remorques ouverts et vides …

Le postulat est assez simple : Almost There a été déclenché par la réception d’une carte postale, celle reproduite sur la troisième page du livre, arrivée avec 101 années de retard. Celui-ci énoncé, se pose la question de la compréhension d’une telle ordonnance. La nôtre résiderait dans un remaniement verbal proposant alors : cette carte postale a déclenché quelque chose qui a permis à ce travail de se réaliser. Dé-clencher exactement, le mot n’est pas arbitraire. Déclencher, c’est-à-dire retirer la clenche, la pièce du loquet qui maintenait la porte fermée.

Faisant de la sorte l’expérience d’une première disjonction temporelle, de l’ouverture d’une possible perturbation, Aleix Plademunt entreprend le projet d’éprouver une telle situation en l’avérant. Ainsi prend-il le parti de croiser les temps et les lieux, de confondre les échelles et d’organiser sa production pareil à une constellation de figures singulières et éparses. S’enchaîne selon cette idée, la photographie d’une voiture américaine, d’un arbre élagué, de trois os bricolés en poinçons. Du lointain à la proximité microscopique en passant par l’immeuble d’en face ou par le site de la prise de vue de The pine on the Corner de Jeff Wall, l’ensemble exprime la difficulté d’une synthèse. Les images se contaminent, se contredisent, se concurrencent, se renvoient l’une à l’autre. Nous sommes arrêtés à faire des allers-retours, ballottés entre les pages. On y est presque [Almost There] sans pouvoir saisir ce qui bruisse entre ces endroits. C’est ainsi que le livre révèle son aporie ; être retenu au presque retire l’idée d’intégralité. Sa fin assurée ne peut alors être actée par une complétude prétendant de mettre un terme à l’irrégulier engagé.

Seulement, là où ce sujet fuyant par nature pourrait être l’objet d’une critique, la cible du reproche d’une vacillation, il se révèle être une richesse d’expérience. Dès lors pour ceux qui resteront insatisfaits, nous aurons toujours la possibilité de rétorquer, à rebours, que ce on y est presque sera toujours plus que ce rien [NADA] qui composait les paysages d’une de ses précédentes publications.

La dernière double page est symétrique de la première.
à droite figure le titre du livre, à gauche l’image d’une cellule de Aleix Plademunt.
Derrière la cellule, sur le volet intérieur de cette page dépliante, un index rejouant par le mot les scansions du livre.
Le livre se ferme sur une garde blanche tachetée de points noirs.

Almost There est publié chez Mack en coédition avec Ca l’Isidret. Cette dernière (maison d’édition) a été fondée par Juan Diego Valera, Roger Guaus et Aleix Plademunt dans le dessein de promouvoir leur propre travail. Pour compléter, la bibliothèque possède également deux catalogues du même photographe réalisés par la galerie Olivier Waltman [M 2008 PLA & M 2009 PLA] ainsi que L’inassolible de Roger Guaus paru chez Ca l’Isidret [M 2012 GUA].

Cédric Mazet