IRENE, ROSWITHA HECKE
Texte de Roswitha Hecke
Edition Patrick Frey, Zurich, 2011
Liebes Leben (la Vie d’Amour) récit photographique, parsemé de citations de Charles Baudelaire, du quotidien d’Irene, muse et prostituée zurichoise, a été publié pour la première fois en 1978. Une nouvelle édition, révisée, présente des photos encore jamais publiées. C’est grâce au cinéaste et metteur en scène de théâtre Werner Schroeter que Roswitha Hecke rencontre Irene, alors star secrète de la bohème zurichoise. Irene, alors âgée de 26 ans, travaille comme prostituée jusqu’à son tragique décès, 10 ans plus tard, dans un accident de moto en Thaïlande. Pendant trois semaines Roswitha Hecke a photographié ses journées à zurichoise et l’a accompagnée à Rome où Irene célébrait toujours son anniversaire. Le résultat est un portrait subtile et fort d’une femme, belle et confiante, exhibant un érotisme incomparable et une élégance fière. Les photos, mélange de mise en scène et de documentaire, captent une urgence et une présence inhabituelles.
« Irene a voulu être jolie, être femme, être libre. Elle était directe et d’humeur changeante, comme un enfant. Elle a aimé le flirt plus que le mariage. Tension plus qu’harmonie regrets plus que satisfaction restant à distance plus que cherchant le contact, elle a vécu sa vie selon l’adage : advienne que pourra. » (Roswitha Hecke)
MAROC 1975, BERNARD PLOSSU
Texte Abdellah Karroum
Éditions Hors’Champs / LA NON-MAISON micro centre d’art, 2014
En juin 1975, Bernard Plossu arrive au Maroc, par bateau avec sa voiture, il a une idée fixe : rejoindre le désert. Sur la route les voitures sont rares et un horizon sans fin rayé de grains de poussière se répète. Le Maroc des années 1960 a été un lieu de rencontres, de nombreux jeunes américains ou européens fuyant les guerres coloniales s’y rencontrent et rencontrent la jeunesse marocaine. Pour Maroc 1975, Bernard Plossu a retenu cent quatre photographies, toutes en noir et blanc. La lumière généreuse, en particulier celle du désert, impose sa précision et grave le moindre détail sur la pellicule. Les images d’Aglou qui ouvrent le livre sont d’abord quasi géométriques et s’humanisent au fil des pages. Des images des habitants de Fez ou Marrakech alternent avec des paysages dans lesquels l’occupation humaine est toujours présente. Un homme qui porte un plateau à Tiznit, la silhouette d’une femme à Goulimine, deux portraits de jeune femme à Agdz participent à l’humanité du livre.
La vision du Maroc proposée donne un sentiment à la fois familier et grave. Ces photographies peuvent surprendre par un classicisme qui s’écarte des flous et des gros plans qui caractérisent les images de Bernard Plossu. Le photographe le reconnaît volontiers, il était alors à un tournant dans sa pratique de professionnel : « Cette année-là, je me suis débarrassé de l’habileté et je suis passé à la rigueur. C’est vrai, ce sont des photographies presque monacales, grises dans leur couleur, et prises avec une certaine distance. Elles sont moins expérimentales que d’habitude, et peut-être plus proches du reportage. » [cité par Brigitte Ollier Grand Angle octobre 2013]
ZUSAMMENLEBEN, UTE MAHLER
Texte de Sybille Berg
Hatje Cantz Verlag, Ostfildern (G), 2014
Née en 1949 en RDA, Ute Mahler est l’une des fondatrices de l’agence Ostkreuz créée après la chute du mur de Berlin en 1989.
Le livre Zusammenleben «Vivre ensemble», qui réunit 78 portraits poétiques en noir et blanc choisis parmi plus d’un millier de clichés, montre des images des années 1970 et 1980 dans l’ex-RDA et traite de la coexistence humaine, avec ses formes d’expression et des non-dits subtils toujours présents : les gens attendaient quelque chose qui viendrait.
Aucune trace de nostalgie, la photographe, formée à l’école est allemande et qui enseigne à l’Université de Hambourg, présente son « album photo des années soixante-dix, quatre-vingt » simplement en raison de la qualité des sujets de jeunes et vieux couples, d’enfants, d’amis, de voisins. Les photos de Ute Mahler montrent la curiosité, la patience, la persévérance, l’empathie, la confiance, le respect de la vie souvent grise mais parfois gaie en RDA. Elle évite les stéréotypes sociaux habituels (drapeaux, défilés, slogans, monde morne du travail, magasins tristes). Tout semble plus privé, calme, austère poétique, mélancolique souvent.
La première photo dans le livre datant de 1972 est très intime, dans le même temps une dédicace : Le jeune mari de la photographe (Werner Mahler) est dans le lit, sur son torse nu dort leur bébé. Ute Mahler voulait savoir comment les gens vivent ensemble, comment ils organisent leur vie quotidienne. Elle voulait savoir comment ces gens sont familiers avec l’autre, rient ou se sentent triste, ce qu’ils peuvent, ensemble ou seul, rêver, ce qu’ils espèrent tous les jeunes et les vieux, les amoureux sur le cyclomoteur ou encore dans des robes de mariage, y compris le lit double bricolé retrouvé dans le grenier de la maison de ses parents.
« Les bons moments qui restent. Respirez un bref moment, puis ils sont de retour. » [Sibylle Berg, dans l’avant-propos du livre].
SECRETS, PAOLO ROVERSI
Editions Stromboli, Paris, 2014
Paolo Roversi est l’un des plus grands noms de la photographie de mode. Il a su apporter à cet art de l’apparence une touche très personnelle, faite d’intimité, en travaillant à la chambre 20 x 25 cm Deardorf, en bois, à soufflet, comme un portraitiste du XIXe, mais au Polaroid.
Les photographies choisies par Paolo Roversi représentent l’essence de son travail : des portraits, des nus, des autoportraits, des images réalisées pour la mode. Ses influences marquantes dans le domaine du portrait tiennent autant aux mosaïques byzantines de son enfance à Ravenne qu’à certaines madones de la Renaissance et à une photographie qui, à certains moments de son évolution, a pu prétendre saisir un peu de l’âme du modèle en même temps que son image. Dans certaines images de Secrets, le photographe apparaît comme une ombre incertaine, parfois comme un reflet, presque médiumnique, soit aux côtés du modèle, soit comme sujet principal.
Ici, les femmes ne font jamais la moue, ne sont jamais placées dans des décors farfelus. C’est dans l’espace du studio, devant des fonds aux tons neutres que les mannequins prennent, nues ou sobrement vêtues, (presque) naturellement la pose. Il se dégage d’ambiances délicates une élégante nostalgie.
« Chaque photographie est une rencontre, une intimité partagée, une confession réciproque. J’aime les longues séances qui laissent tout le temps nécessaire a l’âme pour affleurer en surface, pour lui laisser la chance de faire son chemin… » [Paolo Roversi]
BOMBED, LAËTITIA DONVAL
Texte de Davy Roussel
Filigranes Editions, Paris, 2013
Bombed est une itinérance photographique (entre l’automne 2011 et le printemps 2012) dans des villes portuaires, reconstruites après la deuxième Guerre Mondiale, du nord-ouest de l’Europe (Saint-Nazaire, Lorient, Brest, Le Havre, Dunkerque, Anvers, Rotterdam et Hambourg). Destructions, abandons, adaptations marquent l’histoire de ces villes qui se greffe sur une idée de permanence. Une approche documentaire sur l’architecture urbaine et les zones portuaires se mêle à une vision plus organique au contact de la rue et de ses passants. Toujours en arrière-plan ou hors-champ, la mer marque l’atmosphère singulière de ces villes prises entre rigueur et exubérance, liberté et confinement, force et vulnérabilité. Les 33 photographies couleur et noir et blanc tissent les symboles d’un monde maritime, délaissé à une vision plus ouverte sur le développement d’une ville industrielle. Dans un paysage parfois sordide, Laëtitia dévoile la souffrance et la solitude des habitants de ces villes reconstruites et esquisse un galerie de portraits en noir et blanc ou en couleurs, nettes ou floues, qui rassemble une communauté humaine.
Laëtitia Donval défend l’idée d’une photographie documentaire d’auteur avec un ancrage personnel fort. « J’ai souhaité éprouver cette permanence d’images fondamentales qui imprègnent notre inconscient collectif, permanence mise en regard avec l’aspect contemporain de lieux voués à une mutation radicale imposée par la mondialisation. » [Laëtitia Donval]
THE BIKERIDERS, DANNY LYON
Textes de Danny Lyon à partir d’enregistrements et d’entretiens avec différents bikers
Version française d’un fac-similé publié pour la première fois en 1968 par The Macmillan Company
Aperture / Éditions Xavier Barral, New York / Paris, 2014
Ce classique de la photographie invite à prendre la route avec les motards, et plus particulièrement ceux du Chicago Outlaws Motorcycle Club. L’ouvrage est un fac-similé de l’édition originale de 1968 enrichie de nouvelles reproductions des photographies d’époque. Danny Lyon, accepté en 1963 au sein du gang, fait partie de ces photographes (Diane Arbus, Larry Clark,..) qui, dans les années 1960 et 1970, portent leur regard vers les marges de l’Amérique de l’opulence et de l’arrogance, pour documenter la vie des laissés-pour-compte et l’émergence d’une contre-culture. A la fin de l’ouvrage, une quinzaine d’entretiens de de Danny Lyon avec ces motards, renforce cette immersion dans le quotidien des bikers. C’est un portrait authentique, personnel et sans concession d’hommes et de femmes en marge de la société.
Ce travail sur les bikers est humaniste, en ce qu’il image l’humain dans une communauté qui vit déjà dans l’image. Les photographies de Brando dans la chevauché sauvage, découpées et collées dans les albums des motards disent bien, dès l’entrée du livre, quel rapport s’instaure à la mythologie. Un article sur la mort de James Dean, ou d’autres sur la mort de motards du club disent bien que le contrat avec l’image prévoit aussi la mort des personnages. En marquant cette distance infime avec leur image, les motards de Danny Lyon déçoivent, paradoxalement, celui qui s’attend à voir dérouler la mythologie des anges motorisés de la destruction. Tout est là pourtant, les motos, les blousons, les insignes, les gueules, les rassemblements, la route, mais seulement cela. Le tour de force n’est pas dans la mise en scène du mythe, mais dans la capture de sa mise en scène.