Le choix de la librairie # 12

Une sélection, par Irène Attinger, d’ouvrages en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale et/ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale.

Das Auge der Liebe, René Groebli

Sturm & Drang Publishers, Zurich, 2014
Das Auge der Liebe (The Eye of Love) est une réédition du livre paru en 1954

Né en 1927 à Zurich, René Groebli a commencé sa carrière comme photojournaliste pour divers magazines. Il se marie en 1951, mais obligé de reprendre le travail immédiatement, ce n’est que deux ans plus tard que sa femme et lui partent en voyage de noce. Ils passent deux semaines dans un modeste hôtel du quartier Montparnasse, dans une France qui peine à sortir de la guerre. Bien que lieux et dates soient identifiables, cette série est un rêve, une ode à Rita et un poème romantique intemporel dédié à l’amour.

René Groebli a dit à propos de ce travail :
« J’ai essayé de transmettre l’atmosphère typique des chambres d’hôtel françaises. Il y avait tant d’impressions : le mobilier pauvre des hôtels bon marché, les « Amours » brodés sur les rideaux. Et j’étais amoureux d’une jeune fille, cette jeune fille qui est ma femme. Je pense qu’une série de photographies doit être comparée à un roman ou même un poème plutôt qu’à une peinture : laissez-les nous dire quelque chose ! »

 

Feud

Feud, Olga Matveeva

Anzenberger Edition, Vienne, 2014
Prix du Vienna Photo Book Festival

Feud (Querelle) décrit une guerre, en Crimée où l’histoire se déroule début 2014, entre Olga et l’homme qu’elle ne peut quitter, mais qui la fait souffrir comme elle le fait souffrir. C’est le genre de guerre fraternelle dont souvent les parties en conflit ne peuvent expliquer ni les racines ni la cause principale. Le conflit est devenu, en quelque sorte, une action sacrée se reproduisant par elle-même. La querelle est un espace intime. Des gens proches, qui partagent le même lit et qui ont un passé commun, deviennent soudain ennemis. Chacun prépare son propre plan et construit une stratégie. Qui a commencé cette provocation et quelle est la source de sa nature ? Vous en devenez dépendant, comme d’une sorte de drogue. Vous vous sentez comme un animal en cage, mais vous ne pouvez pas vous échapper. La guerre et la haine ressemblent ici à une passion, vous êtes au cœur des événements. Dans un tourbillon de spéculations et de mensonges, tout s’effondre. À la fin, il ne reste que des décombres et personne ne comprend comment ceci a pu arriver. C’est ce dont ce petit livre, visuellement stupéfiant, parle dans une séquence à bout de souffle.

 

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El porqué de las naranjas,  Ricardo Cases

MACK, Londres, 2014

A première vue, on peut penser la réalité comme une progression chaotique, une suite d’incidents illogiques, imprévisibles et désordonnés. Si les événements suivent une logique à eux, celle-ci se trouve bien cachée derrière un rideau de banalités assez épais pour la rendre invisible. À certains moments éphémères, une logique du chaos émerge. Ce sont des moments que personne ne regarde et qui disparaissent sans aucun témoin. Dans El porqué de las naranjas (le pourquoi des oranges), le photographe ne documente pas des symptômes à la surface de la réalité, mais restitue le non-visible. Dans les environs immédiats de la province où il vit, la région fertile de Levante en Espagne, il dévoile des moments éphémères, de brefs éclairs qui pourraient passer inaperçus. Dans la rue, il tente de rendre visible les lois qui régissent l’univers et mène une chasse aux événements élémentaires un peu comme un physicien des particules tente d’identifier le boson de Higgs. Ricardo Cases utilise le paysage comme un laboratoire, un lieu où ces mécanismes peuvent se manifester librement. Son travail n’est pas un portrait de Levante, mais de l’esprit de Levante, et donc de l’esprit de l’Espagne dans son ensemble.

 

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VOLTA, Gabrielle Duplantier

Préface de Maylis de Kerangal Lamaindonne, Marcillac-Vallon, 2014

VOLTA signifie en portugais tout à la fois autour, tour, retour, balade, mais aussi changement. Les photographies de Gabrielle Duplantier sont à l’image de ce mot : erratiques, traversées de figures fascinantes, discrètement ancrées entre réel et fiction. Ses déambulations la ramènent toujours au pays natal et aux personnes chères, et ses photographies sont autant d’énigmes qui relient les êtres aux lieux. Son monde est peuplé d’ombres fugitives, de femmes et d’enfants qu’elle photographie depuis longtemps en noir et blanc, dans une esthétique au-delà du réel. Ses images rappellent que la photographie est un art du geste. Il s’agit de s’écarter, de faire un pas de côté qui nous déporte dans un monde qui reste le nôtre mais qui est pourtant différent, étrange, crépusculaire. Il s’agit de regarder tout ce qui fait retour : l’enfance, les rêves, les visions nocturnes, les légendes, les paysages, ici la région de l’Alentejo (Portugal) qui est son deuxième jardin de petite fille, et le Pays basque, cette terre qui la nourrit.

 

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The New Ways Of Photographing The New Masai, Jan Hoek

Art Paper Editions, Belgique, 2014

Les Massaïs, un peuple semi-nomade vivant au Kenya et au nord de la Tanzanie, sont toujours photographiés de la même façon, dans la nature, portant des panoplies traditionnelles. Ils sont perçus un peu comme un groupe d’animaux. Mais de plus en plus de Massaïs vivent en ville, achètent des Nike, des téléphones portables et même des automobiles. L’artiste néerlandais Jan Hoek a tenté de trouver une nouvelle façon de photographier ces nouveaux Massaïs urbains. Son travail reflète l’éthique souvent complexe impliquée dans la relation entre le photographe et son modèle. Pour cette série de photos, il a rassemblé sept Massaïs et leur a demandé comment ils souhaitaient être photographiés dans un environnement contemporain. Les portraits qui en résultent sont à la fois personnels, absurdes et dévoilent un humour décalé de l’artiste mais aussi de ses sujets.