Le choix de la librairie #40

Retrouvez le choix de la librairie, par Irène Attinger : une sélection d’ouvrages parmi les nouveautés en vente à la librairie de la MEP, qui, en raison de leur originalité, de leur qualité éditoriale ou de l’importance de leur contenu, participent de l’image de l’édition photographique internationale. Ce nouveau « Choix de la Librairie » propose un focus sur deux ouvrages sélectionnés dans le livre d’Irène Attinger, Une Bibliothèque, co-édité en février 2018 par la MEP et Actes Sud.

EL RECTANGULO EN LA MANO
SERGIO LARRAIN

Éditions Xavier Barral, Paris, 2018

Cette réédition prend la forme d’un coffret proposant un texte d’Agnès Sire, directrice artistique de la Fondation Henri Cartier-Bresson et amie de Sergio Larrain. Il s’agit d’un fac-similé de l’édition de 1963 du premier livre de ce dernier, un petit livre cousu de douze feuillets contenant une série de dix-sept images en noir et blanc, principalement des rues de Valparaíso et de Santiago. En tournant les pages, on y voit tantôt de jeunes filles descendant un escalier, tantôt des personnages anonymes se croiser dans la rue.

« Je veux que ma photographie soit une expérience immédiate et non une mastication. La photographie, comme n’importe quel art, on doit la chercher au fond de soi. L’image parfaite est un miracle, elle advient dans une irruption de lumière, de formes, du sujet et dans un état d’âme limpide — on appuie sur le déclencheur presque sans le savoir —, ainsi le miracle se produit. » Sergio Larrain

Né dans une famille bourgeoise de Santiago du Chili, il abandonne une carrière universitaire pour pratiquer la photographie. Son caractère d’artiste et de poète, sa quête d’absolu le rendent peu à l’aise dans le travail pour la presse. Entre la fin des années 1960 et 1973, il abandonne progressivement la photographie et se retire pour de longues périodes dans la campagne du nord du Chili où il se consacre au yoga, à la méditation et au dessin. De 1978 jusqu’à sa mort en février 2012, il ne quittera plus cet endroit.

« La réalité visible mais aussi le jeu qui consiste à organiser un rectangle sont la base du processus photographique. C’est la géométrie que je cherche, le rectangle à la main (l’appareil photo). Photographie : ce qui (le sujet) est donné par la géométrie. »
Sergio Larrain

Le fac-similé cherche à reproduire la source aussi fidèlement que possible, en termes d’échelle, de couleurs et d’autres qualités matérielles. Ici, le terme doit s’entendre au sens d’une copie complète de toutes les pages. L’incontestable qualité technique de la publication, la très large dynamique du noir et blanc rappelle la douceur un peu mélancolique de l’édition originale.

Cet ouvrage est présenté dans Une Bibliothèque (Actes Sud / MEP, 2018).

 

WAFFENRUHE
MICHAEL SCHMIDT

Deuxième édition, Foundation for Photography and Media Art, avec le Michael Schmidt Archiv et Koenig Books, Berlin / Londres, 2018.
Textes en anglais de Janos Frecot, Einar Schleef, Karin Schmidt et Thomas Weski.

Né à Berlin en 1945, Michael Schmidt a photographié sa ville pendant presque vingt ans. Depuis les années 1920, Berlin est au cœur des mouvements politiques et culturels européens : la République de Weimar et les avant-gardes, le nazisme, « l’année Zéro », le pont aérien de Berlin, le discours de John F. Kennedy en 1963, les espions venus du froid, le mur de Berlin, la génération contestataire qui marqua 1967… Les images de Berlin ont alimenté le mythe d’une ville post-apocalyptique, un lieu resté clos depuis 1945 et qui l’était encore en 1987, date de la première publication de l’ouvrage. C’est ainsi le sujet de Waffenruhe (« Cessez-le-feu » ou, littéralement, « Le silence des armes ») qui répercute cette histoire tristement romantique, automnale et sombre.

Michael Schmidt ne traite pas d’une réalité objective sur le mode du paysage social traditionnel, mais utilise le flou et les altérations d’échelle pour donner à voir le monde à travers une incessante bruine d’hiver. Il est un artiste du fragment, de la complexité, de la contradiction. Si, auparavant, il recherchait un équilibre entre l’objectivité et sa perception personnelle, Waffenruhe marque une rupture dans son travail. Il coupe tout lien avec le style objectif de l’école de Düsseldorf et développe une esthétique de l’expérience immédiate, un point de vue délibérément subjectif, et un rapport à la réalité marqué par l’émotion. Pour lui, le mur a non seulement signifié la séparation, mais aussi un ensemble de pertes dans sa propre vie. Les images fonctionnent avec le texte de Einar Schleef pour créer une perspective brusque et entièrement individuelle sur la fragilité de l’existence humaine.

La première édition, publiée en 1987 par Dirk Nishen Verlag fait partie des livres photographiques les plus influents. Trente ans plus tard, réédité en fac-similé, Waffenruhe est à nouveau disponible.

Cet ouvrage est cité dans Une Bibliothèque (Actes Sud / MEP, 2018).