Carlos Freire

Carlos Freire
Carnets de route, photographies 1978-2005

Carlos Freire regarde le monde comme le miroir de l'âme propre à chacun et photographie le sentiment qu'il a du monde.

Galeries

La MEP

Dans le cadre de “Brésil, Brésils”, l’année du Brésil en France

Carlos Freire regarde le monde comme le miroir de l’âme propre à chacun et photographie le sentiment qu’il a du monde. […]
Manière de marcher, manière de vivre, manière de voir, manière de sentir, dans la perspective individuelle quotidienne de Carlos Freire, ne font qu’un. Il entre d’emblée en liaison avec tout ce que rencontrent ses yeux, dialogue avec tout ce qui l’entoure, entre dans le flux de tout ce qu’il approche, sourit aux sourires, répond à la parole, capte tous les regards entrecroisés, accompagne et berce le monde dans sa pensée affectueuse, voyageuse et voyante. […]
Il traverse la photographie comme on traverse ponts, passerelles, fleuves, océans, ou comme d’autres traversent la poésie, traversent l’histoire, sans en faire un plat, ni une profession, ni même un sacerdoce. […]
Carlos Freire ressemble, en fait, à un homme errant, à un nomade du monde entier, qui se sent partout chez lui, plutôt qu’à un artiste. C’est un créateur. Son œuvre, qui ne tourne pas autour d’un “moi” fermé, traumatisé, est une quête plutôt qu’une conquête. Suivre son œuvre, c’est s’initier avec lui, fraternellement, aux secrets de toutes les existences dans ce gigantesque souk qu’est devenu l’univers humain. C’est pourquoi, commencement perpétuel, cette œuvre, déjà immense, ne peut avoir de fin. Elle nous jette et nous projette dans l’ouverture de l’être : là, ici, partout, puisque c’est partout ici. […]
Il n’y a, dans la vie la plus courante, que des hasards, et les photos de Carlos Freire sont, sans exception, des témoignages, flagrants, de l’existence du “hasard objectif” : son objectif est celui du hasard vécu à tout bout de champ, au sens où nécessité et liberté individuelles y coïncident en toute perfection harmonique, simultanément. Le hasard ? Celui des rencontres capitales, d’abord. Pour le Brésilien Carlos Freire, celle de Francis Bacon, auquel il a consacré une série de portraits révélateurs, dans son atelier et dans les rues de Londres, qui en disent presque autant que sa peinture, celle de Cioran, celle de Roland Barthes, celle de Philippe Sollers, celle de Marguerite Yourcenar, celle de Julio Cortá-zar, celle d’Iris Murdoch, celle d’Henry Moore, celle de Nathalie Sarraute, celle de Satyajit Ray, celle d’Octavio Paz, celle d’Akira Kurosawa, celle de Lawrence Durrell […], celle d’une jeune fille de Florence, mais aussi celle d’une très belle femme bouddhiste du Ladakh, avec son beau bébé sur le dos,[…] celle de tous ces Napolitains, avec lesquels Carlos a parlé, discuté, ri, avant de les photographier, comme s’il était napolitain lui-même, depuis toujours, dans leur vie, leurs extravagances très diversement litigieuses, ou exemplaires.
Il faut le répéter : jamais de jugement, ni en bien, ni en mal, dans les photos de Carlos. Et, pourtant aucune neutralité, aucune indifférence, jamais : une co-présence entière au monde, un va-et-vient de sympathie et d’empathie en équilibre perpétuel. […]
Lawrence Durrell a écrit qu’on pouvait concevoir les photographies de Carlos Freire comme des “postulats philosophiques ou, si l’on préfère, des poèmes”. Rien de plus juste : elles nous font réfléchir comme des postulats philosophiques, ou comme des poèmes, ou même les deux à la fois.
Carlos Freire, l’ami du monde réel, a ainsi triomphé, sans le dire, sans même le vouloir, de l’odieux nihilisme qui a envahi la terre entière et jusqu’à l’intérieur de nous-mêmes. Il faut lui en être plus que reconnaissant : il nous réconcilie avec cette énigmatique énergie qui hante, partout, tous les corps vivants, alors qu’ils sont, tous, condamnés à plonger un jour ou l’autre dans le néant.

Alain Jouffroy,
(Extraits de “Carlos Freire, l’ami du monde réel”)

Exposition réalisée avec la participation de la galerie Jane Roberts Fine Arts, Publimod Photo et Printimage.

Image en une : Calcutta, 1978 © Carlos Freire