Arno Rafael Minkkinen

Arno Rafael Minkkinen
La naissance de l’intimité

Les autoportraits d'Arno Rafael Minkkinen

Depuis quarante ans, Minkkinen se photographie lui-même dans des mises en scène étonnantes, le plus souvent nu, dans la nature. Appareil sur pied, il compose soigneusement un cadre, imaginant comment son corps prendra place dans l’image. Il déclenche le retardateur, se met en place. Le résultat est une fusion étrange, inattendue, de son être avec le paysage. Sa photographie est une performance généralement solitaire, mais parfois partagée avec une femme, composant alors un portrait double où Minkkinen figure une sorte d’esprit protecteur, comme issu de la nature même. Il décrit ainsi cette expérience :

« La naissance de l’intimité

Je crois qu’aucun de nous deux n’entendit le bruit de l’obturateur. Peut-être des oiseaux chantèrent-ils trop haut leur plaisir de boire à la rivière au moment précis où il se déclenchait. C’était la rivière la plus calme au monde mais peut-être un bruit de remous, au moment où tes yeux se sont fixés sur l’objectif, a-t-il noyé le déclic que nous aurions du entendre ? A coup sûr le silence régnait quand nos doigts se sont étreints. Neuf secondes, ai-je dit, mais ma mémoire tient maintenant ces instants pour éternels. J’aime ce noeud des os de mes doigts avec les mains d’une autre personne et là, nos corps dos à dos se faisant face par delà un hémisphère, je ne désirais qu’attendre.

Tu as agrippé mes doigts et tu les as pressés sur ton ventre. La photographie était faite.

Prendre entre le pouce et l’index un peu de terre pour en faire une montagne, à la façon dont ma femme aime que mes doigts cherchent sa poitrine sous les draps au milieu de la nuit ; atteindre sous des eaux arctiques peu profondes un bâton courbe de bois noir, redoutant qu’il fut le serpent endormi de l’été mais qui, alors que vous le dressez comme un arc et sa flèche, se trouve être une relique de l’étrave d’une ancienne barque Finlandaise; ou porter dans vos bras un chien immobile et encore chaud et coucher son corps de fourrure sur un appontement couvert de neige jusqu’à ce que les flocons sur son corps cessent à la fin de fondre : de tels actes de toucher ne portent-ils pas en eux-mêmes la naissance de l’intimité ? »

Arno Rafael Minkkinen, avril 2014

 

Commissariat : Didier Brousse

Image en une : Arno Rafael Minkkinen, Fosters Pond, USA, 1989 ©Arno Rafael Minkkinen