La nouvelle création de Bernard Faucon donne tort à Jean-Luc Godard, qui fit répliquer à l’un de ses personnages que le cinéma, c’était « vingt-quatre fois la vérité par seconde ». Dès les premiers instants de Mes routes, nous sentons que la vérité s’y est introduite des milliards de fois par seconde.
Le procédé est simple : passagers impromptus d’un véhicule en marche, nous parcourons les plus beaux axes du monde, tandis qu’une voix nous parle. De villes en rivages, d’autopista en autopista, de broussailles en sommets, les yeux aspirés par un même point de fuite, la voix nous dit sa mémoire, ses secrets, ses rêves d’enfance, ses fulgurances ; composant un poème unique en son genre.
Si chacun des mots choisis par l’auteur nous transperce – ainsi que la vitesse transperce le paysage –, c’est que Bernard Faucon n’est pas un chauffeur comme les autres. Il a compris que vieillir n’était « pas intitule », lorsque cela permettait de « désapprendre les leçons ». Son diapason intime connaît des chemins de traverse, des ramifications inopinées : de la dernière indulgence des rêves à l’hypothétique intersection de la route et du temps, c’est assurément une mémoire plus vieille que la nôtre qui prend la parole.
Malecón cubain, sentiers laos, Luberon multicolore, sable maghrébin : le spectateur se trouve toujours au carrefour de toutes les vulgarités et de toutes les inspirations. À la radio, les morceaux de variété mainstream ou de techno un peu cheap deviennent la bande originale de notre vie. À l’horizon, pas de corps, ou presque. La chair est radioactive : après celui des mannequins, le photographe invente le monde des silhouettes.
Sans surprise, au sommet de ce décor, luit le soleil de la jeunesse. On n’échappe pas à ce lieu mouvant ; double enjeu du temps et de l’espace, où le visage aimé reste condamné à n’être que souvenir, ou promesse intenable.
L’artiste le sait : « Tout ce qui dure nous ennuie, mais nous déplorons l’éphémère. » Malgré l’adage, ses routes pourraient encore se poursuivre des kilomètres, des heures – précisément parce qu’elles raccordent la durée et l’éphémère ; l’expérience et l’émotion.
Être ou ne pas être, telle n’est plus la question. Refusant de choisir, Bernard Faucon imagine une réponse mixte, à l’image de ces matins où l’on se réveille avec l’impression d’avoir oublié sur le quai d’une gare la sacoche qui contient tout ce que l’on est. Il s’agit désormais d’être et de ne pas être
Arthur Dreyfus
2 x 20 minutes, films réalisés par Bernard Faucon
Une production Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains
Entrée libre dans la limite des places disponibles.