Florian Schneider

Florian Schneider
Un peintre numérique

Lauréat du Prix Arcimboldo pour la création numérique 2004

Galeries

La MEP

De son intérêt passionné pour la littérature et la peinture, Florian Schneider a gardé le goût d’inventer des personnages et de dessiner des figures. Il ne les conçoit plus avec une plume ou un pinceau sur la toile ou du papier mais directement sur écran, au stylet et à la tablette numérique. Apparaissent ainsi, issus de son imaginaire, ces curieux modèles solitaires, au regard fixe, à la beauté impersonnelle, aux traits quasiment interchangeables, brossés, caressés, liftés par un chirurgien qui opère à distance et colorise par touches virtuelles, à la palette graphique, leur apparence impalpable. Peintre sans peinture, rivé sur son écran comme le portraitiste campait autrefois devant son chevalet, Florian Schneider, suite à cette première série débutée en 1998, en a inventé une seconde lumineusement titrée “Electric ladyland II” (2004). Héroïnes intemporelles, égéries idéales aussi bien qu’éthérées, ces cybercréatures, au charme immarcescible, pommadées de teinture, se parent cette fois d’atours colorés (cheveux, fards, boucles d’oreilles) censés créer l’illusion qu’il pourrait s’agir de personnes réelles, bien vivantes. Ces jeunes femmes fantomales, au teint cireux, au regard absent, aux traits non encore griffés par la vie, délicieusement poudrées d’ombre et vêtues d’habits chatoyants, tissus synthétiques tirés de la texture picturale du pixel, paraissent pourtant à des années-lumière des starlettes bécasses ou des Lolita d’aujourd’hui. Sans histoire, sans passé, sans substance, bref, sans réalité propre, elles ont toutes un prénom (Emmanuelle, Gina, Alice, Angie, Béatrice) et, peut-être à cause de leur apparence androgyne, acquièrent une présence énigmatique tout à fait fascinante. On dirait des poupées de porcelaine ou des mannequins de cire perdues dans un songe irréel où se révélerait le secret de leur évanescente beauté. Rien n’est photographique (pas même la retouche) dans ce face à face avec l’image fictive obtenue par l’ordinateur, sans prise de vue ni objectif, imprimée sur tirage papier, satin marouflé sur toile. Ou présentée en très grand format dans des caissons lumineux qui restituent au mieux l’intense luminosité de l’écran. Plus obsédé par la peinture que par l’image fixe qu’il connaît parfaitement, et dont il conteste la suprématie dans le traitement des nouvelles techniques, Florian Schneider, à l’occasion d’une commande passée à Bonn sur les portraits de Catherine II de Russie, a pu se frotter pour la première fois à la vérité d’un modèle existant. Mais il l’a affrontée non pas devant la toile réelle, grandeur nature, mais à partir des portraits vignettes de l’impératrice stockés, scannés, tramés, compressés, circulant sur le Net.

S’évertuant à retrouver la figure derrière sa disparition programmée, usant du pinceau virtuel qui restaure facticement le souvenir, il a ainsi modelé le faciès improbable d’un sujet altéré par l’abus des regards et l’aliénante multiplicité des usages. L’image n’est-elle pas ce qui reste en mémoire quand on a tout oublié ? Ce travail intrinsèquement iconologique s’éclaire d’un jour nouveau avec les portraits de groupe, en noir et blanc ou en couleurs, où s’immisce enfin derrière l’opulence du décor et des costumes la figure masculine. Prémices d’une évolution, cette série en cours conforte la pertinence et l’originalité plastique d’une œuvre déroutante que Florian Schneider n’est pas prêt d’interrompre.

Patrick Roegiers