Depuis plus de 40 ans, Irving Penn est l’un de nos photographes les plus novateurs, les plus influents et les plus admirés. Pourtant il va volontiers à contre-courant de ses contemporains, et c’est en revenant sur ses travaux antérieurs et ses propres a priori qu’il parvient à remettre en question le monde de l’art. Ainsi en 1964, alors que des artistes tels que Diane Arbus et Garry Winogrand rejettent l’idée du fine print moderniste, Penn commence à utiliser le platine et d’autres métaux pour réaliser des tirages aux tonalités chaudes et poétiques.
Les épreuves de ” Platinum Test Material ” donnent un aperçu passionnant de la méthode et de l’œuvre de cet artiste majeur en dévoilant les supports mêmes sur lesquels se construit sa vision artistique. Le travail de Penn a souvent été comparé à celui d’un peintre; ici on pourrait le qualifier de constructiviste. Ces “bouts d’essai”, qui regroupent des images familières et fragmentaires, sont une exploration des thèmes importants de sa carrière. Bien plus qu’un ensemble de “chutes” (c’est Penn lui-même qui les qualifie ainsi en parlant de leftovers), bien plus qu’une exploration purement technique, cette exposition singulière représente une sorte de retour sur soi historique.
Du point de vue stylistique, l’œuvre de Penn présente des aspects en apparence contradictoires. En effet, depuis longtemps reconnu pour son œuvre imprimé, Penn a réalisé des images photographiques dont les tons et le dégradé supportent mal la reproduction et qui doivent absolument être contemplées dans leur tirage original. Les sujets qu’il choisit sont en outre très divers : photos de mannequins superbement habillés et portraits de personnages célèbres côtoient natures mortes composées de déchets et portraits “ethnographiques” d’inconnus. Il existe néanmoins des constantes dans l’œuvre de Penn, notamment ce style élégant qui tend à faire ressortir le sujet, et le dépouillement de l’arrière-plan. Par ailleurs, bien que très différents les uns des autres, ses sujets sont toujours photographiés dans le cadre neutre et médiateur du studio.
En mettant en scène de manière tout à fait insolite le processus de la photographie, cette exposition donne à voir le lien manifeste qui existe entre le fond et la forme. Les fantômes de la vie passée de Penn témoignent ainsi les pouvoirs alchimiques de l’artiste.
Terence Pitts
Centre pour la photographie créative.
Université d’Arizona, Tucson, Arizona.
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L’exposition a été réalisée par le Centre pour la Photographie créative, Université d’Arizona, avec le soutien de la Fondation Horace Co. Goldsmith.