On aurait tort à cause de leur apparence plaisante, de prendre les visions oniriques et délicates de Jean-Baptiste Barret pour des illustrations naïves, des chromos attractifs et savoureux, si joyeusement réalisés qu’ils paraissent proches de l’imagerie décorative ou des clichés distrayants de la publicité. Il s’agit certes de courts récits contés en une image riante, de fables extravagantes et incongrues mettant en scène avec ironie des icônes de la grande peinture réduites à la taille de figurines, de figurants miniatures campés dans des situations anecdotiques ou pittoresques, sortes de touristes nomades revisitant l’Art, l’Histoire et la Mémoire dans des décors de carton pâte.
Si l’on daigne prêter attention à l’exacte nature des lieux, on constate qu’il s’agit de sites peu attirants (hangar désaffecté, transformateur EDF, chantier en cours, cargo à quai, bassin de radoub, pont de métal, phare [martiniquais], citernes pétrolières) tels que se plaisait à les décrire la photographie créative des années 80, de Gilbert Fastenaekens à Gabriele Basilico, sur un mode plus plastique Georges Rousse, et selon un système conceptuel et sériel, le couple des Becher.
C’est que le travail de Jean-Baptiste Barret est foncièrement photographique par le sujet de ses compositions poétiques, au titre évocateur, au climat féerique, qui sont toutes bercées par la nuit. La nuit close, la nuit tombée, la nuit d’été, qu’illumine l’artificielle clarté des éclairages publics, et où surgissent par enchantement, dans l’éther bleuté, les points albugineux des étoiles, la lune (astre de bel augure que la durée débite en quartiers), les traits biaisés qui écharpent et rythment l’espace. Dans ce monde rendu atemporel par la douceur de la nuit, propice à la rêverie, à l’émoi des rencontres impossibles, aux télescopages purement imaginés, et donc improbables dans le réel, sont conviés de façon désuète, chevauchant un zèbre, un persan ou même un éléphant, mais on distingue aussi une girafe et une autruche, parés d’une ombrelle pourpre en guise d’auréole, armés d’ailes qui favorisent l’envol, jonglant avec l’univers réduit aux dimensions d’une boule de cristal, ramant à contre-courant dans la barque d’Orphée, marchant sur les mains (la terre tournerait-elle à l’envers ?), grattant une guitare ou brandissant une bannière, des personnages exotiques, des anges et des putti sortis d’illustres tableaux peints.
Détourés, numérisés, colorisés par le miracle de la technique, ces héros éthérés, rendus à la trivialité de la vie, ramènent le spectateur à l’aube de la photographie quand Maxime du Camp, parti en Egypte, narrait à son ami Flaubert les merveilles stupéfiantes qu’il découvrait et qui charmèrent tant aussi Rimbaud.
L’ironie, la mythologie, la culture, le merveilleux, l’imaginaire, la fantaisie, mués en mirage oriental par la magie de l’image numérique, concilient d’un clin d’œil ludique, pétillant de fraîcheur, l’aurore argentique de l’art photographique qui inventa l’Orient l’orée des temps nouveaux, la palette graphique retouchant méticuleusement, avec tact, les chefs-d’œuvre du passé, de Tiepolo ou Corrège, comme si la nuit des temps n’était qu’une chimère apte à révéler à un siècle d’écart, sous un jour inédit, les rêves irréels les plus fous rendus visibles et plus vivants qu’avant par la seule réalité du regard.
Patrick Roegiers