Né en Bohème en 1896, Josef Sudek est animé depuis l’enfance par le sentiment d’appartenir à ce territoire qu’il arpente à l’envie.
Cet amour pour la terre natale le pousse à embrasser un métier qui le rapprocherait de la nature. Berger peut-être ? En fait alors qu’il poursuit son apprentissage de relieur, l’un de ses collègues l’initie à la photographie et la première guerre mondiale transforme bientôt son destin. Blessé sur le front italien par une grenade autrichienne, il doit en effet subir l’amputation du bras droit ce qui le contraint à abandonner son ancien métier.
Il consacre ses trois longues années de convalescence à Prague à se perfectionner en photographie avant d’ouvrir son propre studio dans la cour intérieure d’une vieille maison pragoise.
Outre ses travaux en studio – commandes publicitaires, reproductions de tableaux ou ses différents cycles de natures mortes -, il fit de la ville de Prague l’un des sujets constants de ses recherches. Ainsi engage-t-il, dans les années qui suivirent la fin de la seconde guerre mondiale, son œuvre maîtresse : photographier sa ville comme seul un historien doublé d’un poète – et l’on pense à Atget à cet égard – peut avoir conscience des changements qui s’y opèrent. Prague ville historique de l’empire austro-hongrois était entrée dans la modernité en devenant la capitale de la république de Tchécoslovaquie.
Musicien passionné depuis l’enfance, Josef Sudek tient salon tous les mardis et partage ainsi avec Smetana cette vision mélodieuse et quelque peu mélancolique de la Moldau, la Vltava, dont les méandres alanguis dessinent la vision panoramique de Prague et compare volontiers les césures de la musique de Janacek aux pentes abruptes et syncopées des collines pragoises.
Familier de la topographie de Prague, Josef Sudek caressait l’idée de travailler au format panoramique afin que les images horizontales définissent les différents plans de la ville, les verticales accentuant l’impression de grandeur qu’elle dégage.
Le cycle de photographies intitulé Prague panoramique est ainsi constitué de 284 épreuves-contacts réalisées directement au format du négatif 10 x 30 cm Il parcourt la ville en de longues promenades concentriques, débutant le long du fleuve et accédant peu à peu au sommet des collines – ou l’inverse – puis du centre vers la périphérie. Il maîtrise parfaitement la lumière sans pose-mètre pour s’être “battu avec la lumière comme Jacob s’était battu contre les anges…”, mais il aime la lumière douce et quelque peu voilée des jours de brume ou des fins d’après-midi qu’il attend sereinement.
A l’exemple d’Atget, il inventorie les architectures remarquables mais aussi les impasses pittoresques, la végétation ordonnée des parcs ou celle, luxuriante, des cimetières abandonnés. Sa vision des abords de la cité est plus incisive et les champs cultivés laissent peu à peu la place aux bâtiments industriels et aux grands ensembles aux formes agressives et sans âme.
Passé maître dans l’art de la composition, la ligne d’horizon découpe l’espace du paysage en des proportions variables tandis que le bord noir insiste sur la qualité et la rigueur du cadrage Dans la colline inspirée, Maurice Barrès remarquait déjà “qu’il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie” et l’on peut louer les artistes qui démontrent leur capacité à “inventer” le génie du lieu : que seraient la Montagne Sainte Victoire sans Cézanne et Prague sans les photographies de Sudek ?
Agnès de Gouvion Saint-Cyr
Cette exposition est organisée dans le cadre de Bohemia Magica, un saison tchèque en France organisée par l’AFAA