Lise Sarfati

Lise Sarfati
Acta est

Ceci n'est pas une "photographie de la Russie", ni une "Russie", ni, finalement "une photographie". Après cette triple négation, le terrain paraît nettoyé. Encore ne l'est-il pas complètement.

Galeries

La MEP

Nous ne sommes ni renseignés, ni instruits, ni appelés à éprouver des sentiments envers la Russie actuelle. Nous sommes priés d’abandonner toute curiosité, toute soif de comparaisons, toute démagogie sentimentale ou politique.
Ceci n’est pas une “photographie de la Russie”, ni une “Russie”, ni, finalement “une photographie”. Après cette triple négation, le terrain paraît nettoyé. Encore ne l’est-il pas complètement.
Appelerons-nous ceci une “image” ? Il faudra alors parler d’une “image fixe”, car le passage d’une image à l’autre ne fait pas naître le “sens”. Plutôt que : “image fixe”, disons : “image qui fixe” et passons à l’acte : laissons-nous fixer par les images, l’une après l’autre, comme si chacune était la dernière.
Ainsi, en nous laissant non pas aller, mais rester longtemps, le plus longtemps possible, face à la “chose”, nous allons découvrir, disons-le tout de suite, que cette position debout, en face et au milieu, est la seule possible, qu’elle est prévue, faisant partie intégrante de la “chose” même, car elle reconstruit la position du photographe qui, tel un cyclope unipède, est toujours debout sur son pied, avec son unique œil en face, au milieu.
Mais au milieu de quoi ? Au centre de quoi ? Sur quel axe de symétrie ? Par quelle alchimie la nature va-t-elle livrer son axe secret ?
L’étrange effet médusant de l’image qui fixe le spectateur en face d’elle, transformant l’assuré qu’il était en un élève émerveillé ne provient-il pas de cette secrète axialité ?
En dehors de toute stylisation, de tout clin d’œil finalement toujours rassurant, nous sommes renvoyés à l’ancien artifice de la composition. Architecturale et picturale. À la composition du Quattrocento italien, de Masaccio à Botticelli, qui déploie sa belle et puissante symétrie, telle une transparente phrase latine, cicéronienne. Avec la maison au milieu, l’arbre au milieu, le corps au milieu. Ou encore, au milieu, un vide, un passage invitant le regard du spectateur à pénétrer dedans, le regard n’étant que la sentinelle du corps. Ainsi la symétrie de la composition prend-elle tout son sens dans la symétrie divine du corps humain debout, “face à la chose”.
Il n’y aurait donc pas de paradoxe à pratiquer cette corporalité quasi classique, quasi humaniste du regard face à la quasi parfaite entropie de l’espace russe. Car moins “la chose” est exprimable, plus le face-à-face se transforme en ultime moyen de sa maîtrise. Et plus il n’est, en fin de compte, que l’ultime face-à-face du corps avec sa propre mortalité.”

Olga Medvedkova

Cette exposition est organisée avec la participation du magazine Télérama.