Peter Klasen

Peter Klasen
"Nowhere Anywhere - Confrontations" Photographies 1970-2005

Le génie de Peter Klasen, c'est de produire un système imagé qui paraît reproduire le principe de la pensée moderne : associatif-disjonctif, réducteur-unidimensionnel, mais qui introduit dans le même temps, comme partie intégrante du système, ce qui est séparable et complémentaire : le désordre par rapport à l'ordre, la liberté par rapport au déterminisme, l'innocence par rapport à la répétition.

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La MEP

” Dans le désert de métal et d’essieux, le regard de Klasen – ravivé de blessure, la détresse aux aguets – arrive. Avec un objectif précis, y compris celui de l’appareil, à qui il offre des bribes du monde qui seront triées, agencées; et qui, à la sortie, arrivent sur nous, comme des blocs de sens, qui tirent nos regards vers ces bâches, manettes, volants, essieux, cordages serrés – fragments sexués de nos corps, bribes de jouissance têtue qui brisent l’insensé du désert et de l’absence implacable.”
Daniel Sibony, 2005

Depuis le début des années 60, Peter Klasen développe d’une façon obsessionnelle et critique, son vocabulaire pictural à travers l’appropriation de la photographie sous toutes ses formes et ses dérivatifs (affiches, photos de presse, magazines à grand tirage). À l’aide de l’aérographe, du collage ou du report peint de la photographie, ces images envahissent la surface de la toile afin de constituer le témoignage précis et personnel de Klasen sur l’évolution de notre société. Tel un sismographe, il enregistre à partir de la production incessante des images quotidiennes, le signifiant de notre environnement urbain et social.

Très vite, il passe de la simple citation à une appropriation photographique personnelle, par la mise en œuvre d’un inventaire implacable de l’esthétique industrielle et objectale de nos cités à travers l’objectif de son appareil de photo. Les camions, trains de marchandises, installations industrielles, ports, parkings, univers de labeur déserts ou désertés, objets mécaniques de mesure ou d’utilité particulière précise, les lieux anonymes de nos banlieues, sont les thèmes de prédilection pour l’artiste lors de ses nombreux voyages, de New York à Tokyo, en passant par Barcelone, Berlin ou Paris, ville où il a choisi de vivre et travailler depuis 45 ans. Klasen en a capté les signes et les formes stéréotypes d’une réalité quotidienne, afin d’y extraire l’essentiel d’une thématique liée à la fois au syndrome de la solitude, de l’enfermement, de la mort, mais aussi à la sublimation du corps, sujets qui n’ont cessé de hanter et de nourrir son œuvre.

“J’aime la contrainte” dit Klasen, “il me faut cette résistance à une réalité hostile”. Klasen, dont on sait qu’il commence par aller vers la réalité en faisant un maximum de photographies, sélectionne certaines données, en élimine d’autres. Mais pourquoi privilégier ceci ? Pourquoi écarter cela ? Savoir penser, c’est indissociablement savoir penser sa pensée. L’art de Klasen obéit à une exigence réflexive qui n’est pas celle du philosophe : elle est celle d’un artiste aux prises avec la réalité quotidienne de l’univers urbain, et qui refuse absolument de se laisser absorber par elle. Klasen n’a jamais été et ne sera jamais un simple dispositif de reproduction mécanique. Qui a fait l’expérience d’une immersion soudaine dans un pays inconnu sait que l’on ne distingue guère, dans un premier temps, ni les visages ni les paroles. Il faut séparer pour rendre clair, puis connaître. L’acte premier de la connaissance est un acte d’arrachement à l’indistinct. mais il faut ensuite relier. Klasen recueille les éléments de son vocabulaire pictural en rôdant près des hangars, des réservoirs, des gares de triage ou des chaudières industrielles. Aucun des objets choisis ne saurait être considéré comme une entité isolée. Leurs existences fonctionnelles dépendaient de leurs relations avec d’autres objets. De même, leur existence picturale est créée par les interactions déterminées par l’artiste, dont l’organisation générale aurait été dite “composition” en d’autres temps.

Le génie de Peter Klasen, c’est de produire un système imagé qui paraît reproduire le principe de la pensée moderne : associatif-disjonctif, réducteur-unidimensionnel, mais qui introduit dans le même temps, comme partie intégrante du système, ce qui est séparable et complémentaire : le désordre par rapport à l’ordre, la liberté par rapport au déterminisme, l’innocence par rapport à la répétition.

Klasen qui sera donc en 1960, un des tout premiers artistes à introduire la froideur d’une “Nouvelle Figuration”, en interrogeant les images et les objets de notre quotidienneté, nous fait entrer pour la première fois dans l’univers fascinant de ses photos réalisées depuis 30 ans, et qui ont servi de base à la concrétisation de son œuvre picturale. Grâce à la présentation de quelques-unes de ses œuvres sur toile, il nous amène à mieux connaître et comprendre son travail par un jeu d’aller-retour entre photographie et peinture.

À l’occasion de la 4e édition de la “Nuit Blanche”, une nouvelle création vidéo de Peter Klasen sera projetée sur la façade du bâtiment de la MEP, le samedi 1er octobre 2005, à partir de 20 heures 30.

Image en une : Tampons SNCF, 1978 © Peter Klasen