Pierre Keller

Pierre Keller
Horses

Artiste, éditeur et directeur de L'ECAL/École cantonale d'Art de Lausanne, Pierre Keller réalise la série "Horses" en 1988 au Haras de Cluny. Entrés dans les collections de la MEP en 1994, les tirages couleurs d'après polaroïds SX70, qui constituent cette série, sont exposés pour la première fois en France.

Galeries

La MEP

Pour les cochers, les haleurs, les laboureurs, les mineurs, les charretiers, les rouliers, les débardeurs, les artilleurs, travailler au cul des chevaux n’était pas toujours une sinécure. Pour les artistes, les peintres, les écrivains, au contraire, la contemplation de la fesse chevaline parait avoir toujours été un bonheur, un moment d’extase, une source inépuisable d’inspiration. On connaît, bien sûr, les deux toiles de Géricault, réalisées dans les années 1810 : Cinq chevaux vus par la croupe (visible au Louvre) et, plus extraordinaire encore,Les croupes, où il parvient à entasser, sur un assez petit format (74×92 cm), le “portrait” rectal de vingt-quatre chevaux aux robes variées. Dans la littérature, il faut citer parmi cent autres, Francis Ponge : “Grand horse ! beau de derrière à l’écurie … / Quel est ce splendide derrière de courtisane qui m’accueille ? monté sur des jambes fines, de hauts talons ?” (Pièces, 1962)

Guillaume Apollinaire aussi, auquel les rondeurs équines rappellent irrésistiblement celles de sa lointaine bien-aimée : “Les croupes des chevaux évoquaient ta force et ta grâce/D’alezane dorée ô ma belle jument de race ” ! (Poèmes à Lou, 1969).
Plus explicite encore, plus enthousiaste s’il est possible, Patrick Grainville, ne manque jamais, de roman en roman, de glorifier les splendeurs croupières : “C’est vrai, écrit-il dans Le paradis des orages (1986), que dans la hiérarchie des culs, rien ne peut égaler ce fleuron nuptial d’une croupe de jument imbue de sa beauté.”

Mais celui qui a porté l’éloge au plus haut degré, peut-être, c’est Michel Tournier qui, dans Le Roi des Aulnes (1970), va jusqu’à faire du cheval, cet animal “chevelu et fessu comme une femme”, un véritable “Ange Anal” (sic), ayant atteint “un degré de perfection dans l’acte défécatoire” (!)
Les croupes mystérieuses photographiées par Pierre Keller ont, elles aussi, inspiré les bons auteurs : en introduction au catalogue de l’exposition de ces polaroïds agrandis (Musée de l’Elysée, à Lausanne, en 1991), Homeric parle de “culs sublimes, irréels ballons multicolores, faces pleines et riantes”, tandis que Jacques Chessex en tire un magnifique poème (en 1993), qu’il intitule tout simplement “La fente”.
C’est la richesse du regard de Pierre Keller : à travers lui, chacun peut voir l’épiderme palpant, l’émouvante anatomie de son choix.

Jean-Louis Gouraud

Image en une : Haras de Cluny, 1988, Polaroïd © Pierre Keller