Le mensuel Réalités a été un des titres les plus novateurs et les plus influents des années 1950 et 1960. Son audience le place alors parmi les journaux les plus lus et les plus regardés en France, avec 160 000 exemplaires vendus et plus d’un million de lecteurs. Réalités, créé en 1946 et mort en 1978, a inventé un modèle journalistique : traiter de l’actualité à un rythme mensuel.
Cette revue luxueuse, de grand format, abondamment illustrée, publie de longs articles sur tous les sujets. Elle ambitionne d’être “un observatoire du monde” à une époque où la télévision est balbutiante et où quasiment personne ne voyage. On y trouve non pas l’actualité à chaud mais le monde en profondeur et les bouleversements des sociétés. Le lecteur découvre comment vit le Touareg ou le pêcheur de l’Ile de Sein. On lui parle aussi de la Chine de Mao, de l’URSS de Staline, de l’Espagne de Franco ou de la guerre d’Algérie. Réalités accompagne l’expansion économique des trois décennies de l’après-guerre – les Trente Glorieuses – en racontant la société de consommation naissante.
Le mensuel envoie des reporters et des photographes aux quatre coins de la planète. Les images, en noir et blanc au début, en couleur à la fin, occupent une place de choix. C’est une photographie de reportage ou d’illustration qui fait voyager le lecteur. Elle est souvent réalisée par des auteurs maison qui peuvent partir plusieurs mois s’il le faut. Les plus réputés sont Edouard Boubat et Jean-Philippe Charbonnier. Au-delà de l’équipe fixe, les plus grands photographes internationaux des années 1950 et 1960 sont à un moment dans Réalités. Cette revue peut faire pâlir de jalousie les journalistes d’aujourd’hui en raison du temps donné aux photographes et aux rédacteurs pour réaliser leurs reportages, et de la place donnée à des articles aussi longs qu’une nouvelle. Ce titre est pourtant totalement oublié. La journaliste Danielle Hunebelle, sans doute la plume la plus renommée du mensuel, dit aujourd’hui : “Réalités est passé à la trappe et pourtant il a été unique en son genre. C’est un des grands phénomènes de presse de l’après-guerre mais aussi une aventure extraordinaire.”
L’exposition propose de découvrir l’importance de la photographie dans Réalités à travers 120 couvertures et doubles pages publiées pendant les plus belles années de la revue, de la fin des années 1940 à 1964. Le parti pris a donc été de montrer les images dans leur contexte de publication. Albert Gilou qui prend la direction artistique de la revue en 1950 et auquel succède son adjoint Jacques Dumons, en 1961, incarne cette grande période. Autour des deux vedettes que sont Jean-Philippe Charbonnier et Edouard Boubat, il constitue une équipe de photographes salariés, à découvrir également dans l’exposition, comme Michel Desjardins, Jean-Louis Swiners, Pierre-Louis Millet et Luc Ionesco. Albert Gilou fait aussi travailler régulièrement des auteurs réputés comme Frank Horvat, Gilles Ehrmann ou Jean-Pierre Sudre. Enfin, les plus grands noms de la photographie de l’après-guerre sont, de temps à autre, publiés dans Réalités : Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, David Seymour, Werner Bischof, Bruce Davidson, Dennis Stock, Eugene Smith, Robert Doisneau, Brassaï, Manuel Alvarez Bravo, William Klein, Irving Penn, Richard Avedon… Tous les sujets sont possibles pour les photographes.
Charbonnier, qui est celui qui a le plus publié, a ausculté la vie d’un médecin de campagne, d’un notaire de province, poussé les portes des usines Renault ou d’un hôpital psychiatrique, mais il a aussi voyagé dans le monde entier pour rendre compte des conditions de vie de ses contemporains et a même accompli un tour du monde, en 1955.
Les couvertures, en forme d’affiche et au logo discret, offrent toute la place aux photographies. Elles sont d’une grande variété et d’une grande liberté. Les doubles pages présentées dans l’exposition privilégient deux traitements majeurs : la photographie confrontée à un titre ou confrontée à une autre image dans un audacieux dialogue de formes. Il arrive qu’une photographie s’étale sur l’ensemble de la double page. C’est au tournant des années 1950-1960 que l’on trouve les plus belles réalisations, formant l’apogée de la revue.
Commissaire : Anne de Mondenard, responsable du fonds photographique de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (ministère de la Culture)