Ils sont venus de l’autre rive de la Méditerranée pour libérer l’Europe de la barbarie nazie. Beaucoup sont morts sur les champs de bataille, en Tunisie, en Corse, à l’île d’Elbe, en Italie, en France et en Allemagne. Ils avaient vingt ans, quelquefois moins, souvent à peine plus. Soixante-dix ans après, ces goumiers, ces tirailleurs qui se tiennent devant vous, fiers comme des princes dans leurs djellabas immaculées, et riches de leur seul courage, sont des survivants. Regardez-les bien. Ils font face au photographe qui capte un moment qu’il sait, autant qu’eux, définitif.
Passeur de mémoire, afin que chacun se souvienne de leurs sacrifices, Roberto Battistini est allé à leur rencontre, et son regard respectueux les saisit dans une noblesse qui appartient déjà à l’histoire. L’éternité est là tout entière, plein cadre, vibrante et lumineuse dans cet instant qu’il arrache à l’oubli. Il n’y a pas de retour possible, la vie est passée, et il reste peu de temps. Hommage à ces héros anonymes à qui il lui revient d’avoir donné cette présence bouleversante. Eux témoignent pour ceux qui ne sont plus, leurs yeux percent les ombres. Tel vieux soldat, trop faible pour se tenir debout, s’appuie sur son épouse. Tel autre pose devant sa fille qui procède à la cérémonie du thé. Et ce goumier marche seul dans le cimetière marin de Saint-Florent en Corse où ses camarades reposent… Regardez-les bien. Vous ne pourrez plus les oublier.
Patricia Boyer de Latour, Grand reporter à Madame Figaro