Un rêve d’architecte esthète : composer la façade d’un bâtiment comme une image, qui se suffirait elle-même et se justifierait simplement par son élégance.
L’architecte cubiste ne déstructure pas, comme le ferait le peintre cubiste…il restructure. Il sculpte la lumière tout simplement. Et de mille facettes il organise et joue de l’ombre et des gris.
Maître du détail, de l’image qui renvoie à l’image, de l’accident visuel au cœur d’une symétrie, de l’humour et du clin d’œil, l’architecte de Prague en ces années-là, compose une peau ouvragée à la manière de Braque, Juan Gris, Duchamp ou Picasso.
De ces images, je m’attache à la poésie, à la vibration, à l’émotion qu’elles apportent au rythme des façades…
Ces quelques jeunes architectes ont été des pionniers en matière d’image extérieure d’un bâtiment, des rationalistes un peu plus artistiques, des fondateurs de l’Art Déco, presque des Puristes ou des Fonctionnalistes avant l’heure.
Ils réécrivent le décor des rues avec pour alphabet des signes le prisme et la facette. Comme principe fondateur : le relief, et comme obsession : la lumière.
Cette lumière ainsi structurée est typée, datée, repérable mais c’est aussi un jeu de lumière rendu contemporain…moderne…une époque.
“la lumière métallique de la modernité ne correspond pas à la lumière de la chandelle en suif de Rubens ou de Rembrandt” écrit Kazimir Malevitch.
La lumière des architectes cubistes tchèques est architecturée et sans couleur.
Elle a toutes les couleurs et toutes les géométries…
Une façade comme une photographie argentique, comme une affiche animée.
Il est étonnant de constater cette concentration :Style, esprit, écriture, localisation.
Un véritable éloge à l’ombre, née du prisme, de la pyramide et de l’arc…
Peut-être maniéré, mais tellement plastique.
Certains détails font inévitablement penser au travail du lapidaire qui par d’invraisemblables facettes organisées, réussit à faire jaillir l’éclat des profondeurs d’une pierre. Le joyau né de la matière brute.
A Prague, le rythme et le chant d’une lueur sortent de la profondeur sourde du béton.
Mais louons aussi les clients…qui sont-ils pour promouvoir cette modernité ?
Le ville ressemble à un concours d’élégance.
La Villa Muller d’Adolphe Loos et Karel Lhota, va au-delà de l’aspect.
Le jardin de la villa Kovarovic de Josef Chochol va au-delà des contraintes de terrain.
L’architecte cubiste structure le confort bourgeois. Lignes pures, organisation maîtrisée, couleurs fortes, nuances douces,.
Comme la “nature morte au journal” pas de violence mais de l’humour, de la puissance et une douce sensualité…
A l’intérieur, comme à l’extérieur, l’architecte cubiste est un organisateur, un maître de l’angle. L’angle créatif, l’angle de vue.
Cette promenade praguoise déclenche une furieuse envie de photographier.
Capturer le jeu instable de la lumière sur l’ouvrage raffiné de l’architecte.
Jean-Michel Wilmotte
L’exposition de Sandrine de Nicolay est réalisée dans le cadre de la Saison Tchèque en France “Bohemia Magica” organisée par l’Association Française d’Action Artistique.