Les photographies de Sebastian Schutyser présentées à la MEP ne constituent qu’un modeste fragment du vaste corpus qu’il a pris l’initiative de réaliser sur les mosquées rurales en terre du Mali en y séjournant à maintes reprises depuis les années 90. […]
L’architecture africaine n’avait pas encore bénéficié de ce type de regard contemporain et valorisant. À cet égard Sebastian constate lucidement que la majorité des photographies produites par les Occidentaux sur l’Afrique s’inscrit dans un champ restrictif issu d’une “triple vision oscillant entre colonialisme, exotisme et misérabilisme”. C’est précisément une voie alternative, de nature culturelle, qu’il cherche à explorer à travers ses premiers travaux au Mali. Une autre de ses innovations, majeure, est, dans ce contexte, d’avoir accompli la première couverture photographique ” typologique ” concernant une filière spécifique et souvent sous-estimée du patrimoine bâti : l’architecture dite traditionnelle et vernaculaire ou encore populaire et domestique. Aucun de ces termes n’est d’ailleurs vraiment satisfaisant, surtout dans le cas qui nous concerne au Mali. En effet, ces mosquées rurales s’inscrivent bien dans une tradition rurale qui est elle-même vernaculaire en exprimant un génie constructif populaire au sein d’une culture domestique ; mais elles relèvent aussi, et simultanément, d’une créativité artistique vraiment moderne et même parfois contemporaine puisqu’elles ont été édifiées ou remaniées, pour la grande majorité d’entre elles, au cours du XXe siècle, et même parfois durant les dernières décennies, intégrant dans ce processus constructif des innovations formelles et techniques. C’est cette rare synergie entre une tradition vraiment vivante et une modernité de l’acte constructif qui est fascinante. […]
Ses photographies révèlent un langage plastique désormais rarissime dans notre environnement bâti planétaire : elles opèrent une fusion artistique complète entre deux arts majeurs, l’architecture et la sculpture. S’agit-il ici d’une architecture aux vertus sculpturales ? Ou plutôt d’une sculpture architectonique ? On ne sait plus ; car notre esprit et nos sens sont troublés par l’exception culturelle de cet amalgame créatif exceptionnel. À l’origine de chacune de ces créations, il n’y a pourtant ni architecte, ni sculpteur ; uniquement des artisans villageois ; des maîtres maçons qui ont une maîtrise ancestrale du matériau et du geste pour le modeler. Certains sont d’ailleurs tentés d’évoquer à propos de leurs pratiques constructives une architecture gestuelle, une dynamique chorégraphique pétrifiée dans la terre.
Sebastian traite chacune de “ses” mosquées de façon qu’elle nous apparaisse comme une œuvre unique, personnelle, forte et vigoureuse, tout en nous démontrant simultanément qu’elle est indissociable d’un ensemble régional au sein duquel se déploient de très nombreuses variantes d’un thème commun. Et c’est là que sa “série typologique” s’avère pertinente et efficace. Elle révèle notamment l’intensité unitaire de cette variation thématique d’un langage architectural tout autant que la cohérence globale d’une multitude de déclinaisons individuelles. […]
Le travail de Sebastian s’inscrit dans ce contexte de valorisation. La nature même de ses photographies, en noir et blanc, réalisées au format 4×5 inches avec une chambre technique à correction optique, révèle, sans doute mieux qu’en couleurs, la puissance, la monumentalité et la modernité du langage formel qui génèrent ici l’ “esprit du lieu”. Ses images valorisent aussi le grain et la matière, lissée à la main ou craquelée par l’érosion, de l’argile, du banco ; elles exacerbent la massivité sécurisante de la maçonnerie, la sensualité des textures et parfois l’érotisme des formes. Comme il le dit lui-même, Sebastian Schutyser a choisi une “approche sobre, sans effets photographiques, pour mettre en valeur la morphologie des édifices, pour rendre hommage à la beauté de ces mosquées. En effet, dans le domaine de l’art africain, l’architecture est trop souvent négligée”.
Jean Dethier
Architecte Conseil du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition
Cette exposition est présentée à la MEP dans le contexte de “Africa 2009”, un projet multidisciplinaire de valorisation du patrimoine architectural.