Je rêve de ma mère rêvant de moi rêvant d’elle.
Je cherche à dévoiler l’énigme de la transmission – une fille est une fille, est une fille
d’une fille …Une file interminable de liens symbiotiques.
La tresse, ancienne comme l’humanité, est ici le cordon ombilical.
Le tressage, travail transmis de mère en fille, évoque pour moi les liens de toutes les femmes à la mère de toutes les mères : une divinité archaïque.
Ainsi c’est en élaborant la tresse que la révélation viendra. Peigner les cheveux emmêlés, source de toutes les confusions, et mettre de l’ordre dans le chaos émotionnel.
Faire la tresse ne m’aide pas à comprendre, il faut que je la défasse et la refasse mieux, plus méticuleusement. Faire et défaire n’est rien d’étrange pour moi, je reconnais le cycle lunaire, il est intégré dans le plus intime de mon corps.
Ce rituel répétitif ne m’apaise pas. Je suis sous l’emprise de cette obsession, prise dans un état compulsif. Je fais la folle.
L’apaisement viendra avec une constatation envoûtée:
une fille est une fille / est une fille d’une fille / est une fille d’une fille est une fille // c’est une fille est une fille est une fuite / est une fille d’une fuite / est une fuite d’une fille / est une fuite d’une fuite des filles // est une fille est une folle / c’est une folle de fille / une folle d’une fille / une fille folle // est une fille d’une fille / est une file des filles / une foule des filles / est une fille…
Iris S. Schiller, texte de l’œuvre La tresse de ma mère
Biographie
Née à Haïfa en 1955, Iris Sara Schiller a étudié à l’École des Beaux-arts Bezalel, à Jérusalem. Elle vit à Paris depuis 1984. Son œuvre conjugue et associe sculpture, photographie, vidéo, dessins et textes. Son travail actuel en photographie sera présenté dans l’exposition Six personnalités en quête d’intime, Galerie Françoise Paviot (57, rue Sainte-Anne, 75002 Paris) du 29 octobre 2014 au 30 décembre 2014, dans le cadre du Mois de la Photo.
Des expositions personnelles de son travail ont eu lieu au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris (Eaux d’en haut, eaux d’en bas, 2008), au Musée Picasso, Antibes (Une fille est une fille est une fille d’une fille, 2003), au Centre d’art contemporain La Synagogue de Delme, (Rites de deuil, 2001), au CREDAC d’Ivry-sur-Seine (1994), et au FRAC Languedoc-Roussillon à Montpellier (1994). Elle a participé aux deux éditions de la Nuit Blanche, Paris (Effroi, installation vidéo, 2009 et Un, deux, trois, soleil, un dispositif sonore in situ, 2013). Elle a reçu le Prix Maratier de la Fondation Pro-MAHJ (2007) et le Grand Prix du 50° festival de court-métrage d’Oberhausen pour La tresse de ma mère (2004).
« Féminité : Iris Sara Schiller affronte avec passion et lucidité les questions qui nous hantent, transgressant ainsi les tabous de la naissance, la sexualité, les liens familiaux, le deuil. Il est difficile, face à la force de cet engagement, de ne pas aborder la question sous-jacente, mais habituellement dépassée, de la féminité. On retrouve en effet dans cette recherche un certain nombre des modèles récurrents du travail de certaines artistes femmes : le corps et son intimité, le tressage, l’enfance, la répétition, le virginité, l’ancrage dans une certaine forme de sauvagerie animale, archaïque, primitive, autant de caractéristiques du féminin. Mais un féminin dont les sources sont plutôt à rechercher du côté de Louise Bourgeois ou d’Eva Hesse, que de la catégorie pléthorique aujourd’hui de l’artiste femme enfermée dans des questions de genre et d’identité….
La gémellité : la question du double, de la dualité, du dédoublement se décline de multiples façons : homme-femme, femme-femme, mère-fille, frère-sœur, garçon-garçon… Iris Sara Schiller cherche à donner forme à l’état fusionnel de l’amour, tant maternel que filial, ou fraternel, se posant ainsi la question de la part de projection de soi dans l’autre… »
Extraits de « L’habit de l’âme », Marie-Laure Bernadac, dans le catalogue de l’exposition Iris Sara Schiller, une fille est une fille est une fille d’une fille au Musée Picasso, Antibes (Hazan, 2003).