Vidéos d’artistes #14

Vidéos d’artistes #14
New York, ville de fantômes

À l'occasion de l'exposition de Bernard Pierre Wolff, la MEP propose une sélection de vidéos d'artistes sur le thème « New York, ville de fantômes » avec un focus sur trois artistes : mounir fatmi, Janet Biggs et Laurent Fiévet.

La MEP

Conçu en collaboration avec Barbara Polla, ce programme s’inscrit également dans la continuité de l’exposition « DANCE WITH ME VIDEO », qui a été présentée à la MEP jusqu’au 18 juin.

 

Focus sur Janet Biggs
« Fade to White – Brightness all around »

Les samedis et dimanches du 1er au 16 juillet

Afar, 9’24
Brightness All Around, 8’36
Fade to White, 12’28

Deux vidéos de la pentalogie de Janet Biggs sur le Grand Nord (filmées à Svalbard) sont caractérisées par la manière très personnelle de Biggs de faire irruption à l’intérieur de ses propres narrations visuelles avec un contrepoint musical essentiel à l’œuvre, qu’il s’agisse du performeur John Kelly dans Fade to White, chantant un madrigal baroque a capella, ou du rocker punk afro-américain Bill Coleman dans Brightness All Around. En écho constant dans le travail de Janet Biggs : sa vie new-yorkaise et les extrêmes de la culture de la ville universelle d’une part, et ses explorations des extrêmes géographiques solitaires et glaciaux de l’autre. Idem dans Afar : elle va filmer dans la région Afar (Djibouti – Ethiopie – Erythrée) mais la partie chorégraphie du film est du plus pur New York – Elizabeth Streb.
New York l’universelle, la référence, l’humanité. La sauvegarde de la diversité — et donc — New York la culture.

 

Focus sur mounir fatmi
« Save Manhattan »

Les samedis et dimanches du 22 juillet au 6 août 

Save Manhattan, 8’37
Archisickness, 8’06
Forget, 3’17
Darkening Process, 9’35

Du Maroc au Japon, de Sharjah à Venise, de Casablanca à New York, mounir fatmi est aujourd’hui un artiste universel, tout comme le sont New York et le quartier de Manhattan, au cœur de nombreuses œuvres de fatmi, notamment vidéo. Save Manhattan (2008-2009) est produit avec des moyens archaïques: le paysage de la ville est vu à travers une lampe chinoise dans un hôtel new-yorkais. L’effondrement est attendu. Comme dans les autres vidéos de mounir fatmi sur l’architecture. Détruire et oublier.

Save Manhattan, la Leçon d’Anatomie
Sauver Manhattan ? Seuls les fantômes qui les habitent peuvent sauver les villes de la dérive et de la destruction. Sans fantômes, pas de ville. New York existe, Paris, Casablanca aussi. Dubaï n’existe pas, pas encore. No ghosts, no hosts. Dans la vidéo Save Manhattan (2010), entre les mains de l’artiste, Manhattan devient le ghost par excellence, repris, en l’occurrence, d’une lampe chinoise trouvée dans une chambre d’hôtel, ou sur un marché, comme le génie de la lampe d’Aladin. fatmi récolte des images fantômes et les re-propose en vidéo, dans le droit fil des définitions de Françoise Parfait de ce medium : la vidéo cite toujours une autre image, elle est un espace de mémoire qui accueille « naturellement » l’histoire des images. « Forme hybride par excellence, la vidéo nourrit le paradoxe de ne pouvoir se donner que dans un présent mais de déployer les temporalités de la mémoire individuelle et collective. » Dans le cas de fatmi, cette hybridation de la forme est constante, non seulement dans la vidéo, mais dans les installations, les sculptures, dans l’exploitation des frontières aussi, dans l’architecture encore. L’architecture urbaine est pour fatmi comme la Leçon d’Anatomie de Rembrandt : un livre ouvert dans lequel il cherche les coupables de ce grand corps souffrant, le corps urbain, sur lequel se penchent tous les regards des spectateurs.
La comparaison va plus loin. fatmi travaille actuellement sur une nouvelle vidéo – ce sont des heures et des jours de visionnement, des semaines et des mois de montage – dans laquelle il met en parallèle la ville et ses circulations d’humains que de loin on devine à peine (« la mer est calme vue d’en haut », et les humains minuscules) avec les investigations criminologiques des séries télévisuelles ou cinématographiques dans lesquelles les cadavres disséqués, ces restes de nous-mêmes grouillants de vie, révèlent leurs artères, leurs voies de circulation, leurs quartiers. À y voir de plus près, l’on découvre les bactéries, les vers, toute cette autre vie organique que nous portons en nous : la leçon d’anatomie de fatmi inclut le microscope et ses villes, et ses corps composent en parallèle des paysages charnels qui ne semblent jamais se rencontrer, quand bien même ils vivent l’un dans l’autre. fatmi filme – ou plutôt, cherche, trouve, échantillonne et mixe des images cinématographiques existantes. Il filme des villes qui ressemblent à des corps, pleines de corps qui ressemblent à des villes. Les morts et les vivants se rencontrent, s’examinent, s’analysent, parfois se parlent et font œuvre de mémoire commune. fatmi n’a de cesse de nous faire voir ces villes qui condensent en leurs corps la préhistoire, la matière, la mémoire et les anges, et où vivent ces fantômes auxquels Derrida prédisait un avenir de plus en plus radieux (« l’avenir est aux fantômes »). Mémoire organique et mémoire cinématographique se stratifient, se complexifient, s’enrichissent de millions de corps-cadavres avec leur existence propre, aussi individuelle que de leur vivant, charnelle et animée.
« Le bon cinéma, celui où l’on ne s’ennuie pas, disait Derrida, est une fantomachie. » C’est ainsi que Manhattan fut sauvé. La lampe chinoise tourne encore sans fin dans la semi-obscurité du studio de montage de fatmi.
De l’ombre pour plus de lumière.

 

 

Focus sur Laurent Fiévet
« La femme qui pleure »

Le samedi et dimanche du 12 au 27 août

Trois films de la série « Les larmes de Lora », 2009 :
Rain/Pain, 9’40
Split, 16’
Eclipse, 5’

Le projet « Les Larmes de Lora » est né de l’envie de travailler autour d’un visage, celui de l’actrice américaine Gene Tierney et de son film le plus emblématique, Laura, classé aujourd’hui parmi les grands classiques du film noir. En référence à l’esthétique de l’œuvre, à la construction très particulière de son scénario et à la définition complexe du personnage que l’actrice y incarne, l’idée qui sous-tend la série a consisté à opérer une rencontre entre les images du film d’Otto Preminger et les mouvements cubistes et surréalistes, convoqués dans le traitement des images retravaillées au sein des installations.
Le projet se recentre plus particulièrement autour d’un tableau de Pablo Picasso de 1937, la version de La Femme qui pleure aujourd’hui conservé à la Tate Gallery de Londres. Modèle en creux (l’œuvre n’est jamais présentée dans les installations sur un mode explicite) mais incessamment convoqué dans les jeux de surimpressions que mettent en place les montages des installations (que ce soit dans les effets de composition imposés ou le choix des motifs retenus dans le film d’Otto Preminger), voire les dispositifs scénographiques mis en place, le tableau détermine à de nombreux niveaux l’esthétique de la série.
En regard à l’esthétique en noir-et-blanc qu’impose le film d’Otto Preminger, la série déploie une certaine catégorie de matériaux tels que le verre, le cristal et le miroir. Elle impose dans ses dispositifs scénographiques nombre d’effets de transparences et de réflexions, de jeux de déformation qui brouillent la lisibilité de l’image. Jouant sur les changements de rythmes qu’orchestrent les uns par rapport aux autres les montages, elles engagent des effets de rupture, mais aussi des jeux de miroitements qui, ne serait-ce qu’en référence au tableau de Picasso, incitent les installations à se répondre entre elles.
Élargie à cinq films interprétés par Gene Tierney (Laura, Where the Sidewalk ends et Whirlpool de Preminger, Dragonwyck et The Ghost and Mrs Muir de Mankiewicz), la série comprend actuellement une dizaine de montages ou installations.

 

Événements à l’auditorium de la MEP en accès libre, sur présentation de votre billet d’entrée et dans la limite des places disponibles.